Il y a 80 ans, le grand défi fasciste
Christophe Dolbeau, dans Écrits de Paris n° 643 de mai 2002.
« Nous ne saurions trop répéter qu'une belle tâche est offerte à tout esprit au courant des questions sociales et des questions nationales, qui saurait nationaliser les premières, socialiser les secondes, les fondre toutes en un même puissant programme de patriotisme généreux, d'humanité lucide. »
Lorsque le 23 mars 1919 et devant 119 amis et sympathisants réunis au n° 9 de la Piazza San Sepolcro à Milan, Benito Mussolini annonce la naissance des « fasci di combattimento », le personnage n'est pas à proprement parler un nouveau venu. À trente-six ans, il a déjà vécu pas mal d'expériences politiques et sa réputation commence même à dépasser les frontières de l'Italie. Fils d'une modeste famille de Predappio, il a d'abord été instituteur, avant de faire son apprentissage de journaliste et d'orateur révolutionnaire auprès des émigrés, en Suisse, pays où il a exercé divers petits métiers (maçon, menuisier, marchand de vin, garçon boucher) et souvent tâté de la paille humide des cachots. Libéré de ses obligations militaires en septembre 1906, il renoue brièvement avec l'enseignement, puis dirige l'hebdomadaire L’Avvenire del lavoratore, le journal La Lotta di classe (1909) et enfin L’Avanti (1912). En 1914, lorsque la guerre éclate, Mussolini commence par défendre les positions neutralistes du Parti socialiste (dont il est devenu l'un des principaux dirigeants), avant de basculer dans le bellicisme, de transformer son journal (Il Popolo d’Italia) en tribune de l'interventionnisme, et même de s'engager sous les drapeaux (31 août 1915). Deux années dans les tranchées et une grave blessure (23 février 1917) achèveront de faire de lui l'une des toutes premières personnalités politiques de la péninsule. Malgré un passé qui témoigne de sa résolution et de son courage physique, créer, au printemps 1919, un mouvement qui « déclare la guerre au socialisme » est en soi une dangereuse gageure. En effet, ce socialisme, Mussolini et les anciens combattants qui l'entourent en ont déjà constaté la puissance lors des grandes campagnes de sabotage et de désertion qu'il orchestrait en pleine guerre (1917). Depuis la fin des hostilités, ils le voient régner en maître sur un pays exsangue que des traités défavorables ont achevé d'humilier et d'aigrir. S'affirmer patriote et arborer des distinctions militaires, voire un simple drapeau tricolore, peut s'avérer fatal au moment où les députés socialistes lancent, en plein parlement, leur fameux « À bas la patrie », tandis que leurs groupes de choc s'évertuent dans toutes les provinces à imposer une terreur directement inspirée du modèle bolchevique.
Face à cette dégradation pré-insurrectionnelle, personne ne paraît en mesure de réagir et, lors des émeutes de février 1919 à Milan, Mussolini ne peut que prendre acte de la veulerie ambiante : « À mesure que le défilé passait dans les rues, note-t-il, les bourgeois, les boutiquiers et les propriétaires d'hôtels se hâtaient de clore portes et fenêtres, de dérouler leurs rideaux de fer : voilà des yeux qui se ferment de fatigue, d'inquiétude et de peur. » En juin, la situation est pire encore : à Forli, la foule pille les dépôts de vivres ; à Milan, plus de de 200 magasins sont pris d'assaut, tandis que se constitue à Florence une « République des soviets » qui va durer trois jours. « Au milieu de 1919, écrit Maurice Vaussard, il y avait 200 000 métallurgistes en grève dans le Nord, 200 000 ouvriers agricoles dans les provinces de Novare et Pavie, les typographes à Rome et à Parme, les ouvriers du textile à Côme, les marins à Trieste et même, un peu partout, les instituteurs, dont le traitement était, au reste, dérisoire. Bientôt, les cheminots arrêteront les trains où voyagent les forces de l'ordre que le gouvernement doit acheminer par camions (…) vers les lieux où leur présence s'impose Histoire de l'Italie moderne, tome II, 1870-1970. Paris, Hachette, 1972.. »
Telle est l'atmosphère dans laquelle Mussolini réunit ses faisceaux et leur assigne pour première tâche de reconquérir les rues et les campagnes d'Italie. La lutte sera bien sûr extrêmement féroce de part et d'autre, car seule la violence peut encore contrecarrer les menées marxistes. Dans ce contexte trop souvent passé sous silence, les fameuses « méthodes squadristes » ne peuvent être dissociées de l'extrême brutalité de l'adversaire. Ce dernier, organisé en « gardes rouges », se déchaîne tout particulièrement contre les hommes du « renégat » Mussolini ; on tue froidement ceux qui portent des décorations, ceux qui ne veulent pas saluer le drapeau rouge ou refusent de chanter le Bandiera rossa, et on incendie systématiquement les permanences et imprimeries hostiles. Les fascistes répliquent avec une détermination égale et beaucoup d'entre eux tombent héroïquement, comme l'étudiant Mario Sonzini En fait, Sonzini était membre des Sempre Pronti ou Chemises bleues nationalistes. ou le gardien de prison Scimula qui « sans autre grief que la qualité de fasciste de l'un et celle de représentant de l'ordre pour l'autre, furent tous deux condamnés par une parodie de tribunal révolutionnaire à être brûlés vifs dans un haut fourneau, puis, comme les feux étaient éteints, abattus à coups de revolver ».
Une ambition sociale
Au plus fort de l'affrontement entre fascisme et partis de gauche, Mussolini ne perd jamais de vue ses objectifs de justice sociale. Lorsque l'afflux de nouveaux adhérents bourgeois risque de transformer le mouvement en simple milice anti-ouvrière, il n'hésite pas à condamner explicitement les dérapages (« En certaines zones, le fascisme de ces derniers temps ne ressemble plus du tout au premier… Celui-ci était un mouvement de défense de la nation, et non une organisation répressive qui sert purement et simplement à défendre les intérêts particuliers ».) et même à interdire toute expédition contre des organismes à caractère économique. Cet aspect social du fascisme est essentiel, et Mussolini y revient souvent. Ainsi, en mars 1919, va-t-il soutenir en personne les ouvriers « nationaux » de Dalmine qui occupent leur usine et tentent de l'autogérer : « Ce n'est pas vous, leur déclare-t-il, qui êtes les pauvres, les humbles, les parias, selon la vieille rhétorique du socialisme littéraire. Vous êtes les producteurs, et c'est au nom de cette qualité bien à vous que vous revendiquez le droit de traiter d'égal à égal avec les industriels. » Le 9 octobre suivant, à Florence, il est encore plus précis : « … nous n'entendons pas cependant être considérés comme une espèce de garde du corps d'une bourgeoisie indigne et lâche, surtout dans ses éléments nouvellement enrichis. Si ces gens ne savent pas se défendre eux-mêmes, qu'ils n'espèrent pas être défendus par nous (…) Depuis 50 ans, seules les classes dirigeantes fournissent les généraux, les diplomates, les bureaucrates. Il est temps de briser tout cela si l'on veut mettre de nouvelles énergies dans le corps de la nation et lui infuser un sang nouveau ». Enfin, le 29 octobre 1922, jour de la Marche sur Rome, il avertit : « Les classes qui composent la bourgeoisie productrice doivent savoir que le fascisme veut imposer une discipline unique à la nation. Les travailleurs, ceux des champs et des usines, ceux des transports comme les employés, doivent sa voir que leurs justes droits seront loyalement protégés » — une profession de foi à laquelle beaucoup de militants resteront fidèles.
Un État social
Avec l'accession du Duce à la tête du gouvernement (30 octobre), l'année 1922 marque un tournant de la révolution fasciste : après le temps de la confrontation commence l'ère de la réorganisation nationale. La menace marxiste éliminée, Mussolini doit maintenant concrétiser ses promesses.
Pour rétablir définitivement l'ordre, il réforme la loi sur la police et décide la création immédiate d'un Grand Conseil fasciste, « organe suprême qui coordonne toutes les activités du régime issu de la révolution du mois d'octobre 1922 », d'une Milice pour la sécurité nationale (MVSN) « au service de Dieu et de la Patrie italienne » (décret du 14 janvier 1923), et de préfets volants, chargés de « superviser » des chefs locaux parfois turbulents. Il entreprend également les premières démarches en vue d'une réconciliation de l'Église et de l'État (entre 1923 et 1925, le crucifix réapparaît dans les écoles et les tribunaux, les lois punissant le blasphème sont renforcées, la franc-maçonnerie est mise hors la loi), démarches qui aboutiront, le 11 février 1929, à la signature des Accords du Latran.
Parallèlement aux mesures destinées à affermir les prérogatives du chef du gouvernement (24 décembre 1925), à contrôler la presse (31 décembre 1925), à augmenter les pouvoirs législatifs de l'éxécutif (31 décembre 1926) ou à mieux contrôler l'administration communale (les maires élus sont remplacés par des « podestats » nommés par le roi ; ils sont éventuellement assistés par des « consultori » nommés par le ministre de l'Intérieur), Mussolini attaque sur tous les fronts, et notamment sur le terrain social dont il fera vite l'une des vitrines du défi fasciste. Dans ce domaine, la Convention de Washington et l'Organisation internationale du travail avaient fait un certain nombre de recommandations dont Mussolini adopte, dès le 15 mars 1923, les plus urgentes, à savoir la journée de travail de huit heures et l'interdiction du travail de nuit pour les femmes et les jeunes gens de moins de 18 ans. D'autres efforts suivront, amenant l'Italie, entre 1923 et 1931, à ratifier la plupart des conventions internationales (emploi du phosphore blanc, âge minimum pour les travaux agricoles, repos hebdomadaire, salaire minimum, etc.).
Conjointement, le Duce lance un vaste projet d'aide et de solidarité, créant en 1925 l'Œuvre nationale pour la protection de la maternité et de l'enfance dont les quinze premières années d'existence permettront à huit millions de mères et d'enfants de bénéficier d'une aide financière, de conseils d'obstétrique et de pédiatrie, au travers de 10 000 agences, 1 500 dispensaires et 260 « maisons maternelles ». Conséquence directe de cette initiative, la mortalité infantile baissera de 20 % entre 1922 et 1936. Complément de cette mesure en faveur de la santé publique, le régime entreprend aussi de lutter contre les fléaux que sont la tuberculose (de 65 000 par an avant 1922, la mortalité infantile tombe à 26 000 en 1939), le trachome, la malaria et le paludisme : en mai 1928, l'assurance contre la tuberculose devient obligatoire, tandis que, de 1929 à 1935, 240 000 malades bénéficient des soins intensifs que dispensent 42 nouveaux sanatoriums. Dans le même temps démarrent les opérations d'assainissement des marais et de démoustication. Ces efforts s'accompagnent bien sûr d'une ambitieuse politique familiale (exemptions fiscales pour les familles nombreuses, sévère répression de l'avortement, allocations nuptiales et familiales, prêts familiaux) et de mesures de protection raciale Un « manifesto » du 14 juillet 1938 rappelle que « la population de l'Italie actuelle est d'origine aryenne et sa civilisation est aryenne », et que « les caractères physiques et psychologiques purement européens des Italiens ne doivent être altérés en aucune manière ». Au niveau juridique, des décrets interdisent les mariages d'Italiens avec des éléments appartenant aux races hamitique, sémitique, et autres races non-aryennes..
Dans son chapitre 27, la Charte du travail (adoptée le 21 avril 1927) précise que « l'État fasciste se propose de procéder au perfectionnement de l'assurance contre les accidents ; à l'amélioration et l'extension de l'assurance maternité ; à l'institution de l'assurance contre les maladies professionnelles et la tuberculose comme première étape vers l'assurance générale contre toutes les maladies ; au perfectionnement de l'assurance contre le chômage ; à l'adoption de formes spéciales d'assurance visant à doter les jeunes travailleurs ». En application de ce programme naît alors une assurance maternité qui ne couvre, au début, que les femmes travaillant dans le commerce et l'industrie, mais qui s'étend, en 1936, aux femmes d'agriculteurs, et trois grands instituts : l'Istituto nazionale per l'assicurazione contro le malattie (prévention et contrôle des maladies contagieuses et du travail), l'Istituto nazionale per l'assicurazione contro gli infortuni laborativi (prévention et soin des accidents du travail) et l'Istituto nazionale per la previdenza sociale (assurance sociale générale).
Les résultats de ces organismes sont probants : entre 1922 et 1935, 515 000 pensions de retraite et d'invalidité sont versées, pour un coût de deux milliards de lires ; en 1939, quelque vingt millions d'Italiens sont déjà couverts par une assurance vieillesse et invalidité ; en 1938, les indemnités pour les accidents du travail représentent la somme d'un milliard cinquante millions de lires ; entre 1922 et 1941, deux milliards 225 millions de lires sont déboursés en indemnités de chômage. En outre, un système d'allocations familiales est lancé en 1937 (500 millions versés la première année) Chiffres et pourcentages sont extraits de Italian Fascism and Developmental Dictatorship de A. James Gregor, Princeton University Press, 1979..
Sur la même lancée, le régime crée deux institutions absolument spécifiques du fascisme : l'Opera nazionale Balilla (ONB) et l'Opera nazionale dopolavoro (OND). Pédagogue de métier, Mussolini a toujours accordé une grande importance à la formation des jeunes, ce qui explique l'attention particulière qu'il porte à l'éducation publique dont il confie la responsabilité aux gens les plus qualifiés de l'époque (Giovanni Gentile par exemple) et à laquelle il consacre un budget renforcé. Ainsi, de 60 millions de lires entre 1862 et 1922, la somme dévolue à la construction d'écoles passe à 400 millions entre 1922 et 1942 (entre 1922 et 1939, 30 693 nouvelles salles de classe sont ouvertes), tandis que le budget du ministère grimpe à un milliard 636 millions en 1936-37. Mais cela est encore insuffisant. À l'État de type nouveau doit correspondre une jeunesse pénétrée des idéaux fascistes, reflet, comme l'écrit Blandine Ollivier, « d'un type d'homme fort, résolu, tenace, discipliné, parlant peu, conscient de ses responsabilités, attaché et dévoué passionnément à la chose publique Jeunesse fasciste, Paris, Gallimard, 1934. » : l'ONB en sera le creuset (plus de 8 millions d'enfants passeront en vingt ans dans ses camps de vacances). Le sommet de cette pyramide éducative demeure, bien sûr, l'Université à laquelle Mussolini conserve la plupart de ses anciens privilèges (notamment les franchises) et qu'il enrichit de plusieurs organismes spécialisés : Conseil national de la recherche, Institut d'études romaines, Institut international du cinéma éducatif, Commission nationale italienne pour la coopération intellectuelle, et, politique oblige, une Faculté fasciste des sciences politiques. Il crée enfin l'Académie d'Italie avec pour mission, pleinement réussie d'ailleurs, de publier une grande encyclopédie nationale.
Vis-à-vis des adultes et plus particulièrement du monde ouvrier, les réalisations ne sont pas moins remarquables. En premier lieu, le nouveau régime s'attaque de front au problème de l'emploi : le nombre des chômeurs passe de 541 000 en 1921 à 122 000 à la fin de l'année 1925. L'énorme recrutement des syndicats fascistes (passés de 64 000 adhérents en novembre 1921 à plus de 2,5 millions en 1926) et le rôle essentiel que leur attribue un système corporatif que le Duce envisage de substituer aux traditionnels organes législatifs amènent le nouveau régime à consentir un effort spécial pour faciliter l'accès à la culture et encourager les loisirs de masse : c'est la naissance du Dopolavoro (OND).Le décret n° 582 du 1er mai 1925 en définit les objectifs qui sont « de favoriser l'emploi sain et profitable des heures libres des travailleurs intellectuels et manuels, au moyen d'institutions destinées à développer leurs capacités physiques, intellectuelles et morales ; de pourvoir à l'accroissement et à la coordination de ces institutions, en leur procurant, à elles et à leurs adhérents, toute assistance nécessaire, et en les érigeant éventuellement en institutions dotées de la personnalité morale ». En 1926, un an après sa fondation, l'OND compte déjà 280 000 membres, répartis en 200 groupes d'usine, 300 groupes communaux et 500 groupes divers. L'entreprise se consolide et, six ans plus tard, en 1932, l'OND (dont 67 % des adhérents sont des travailleurs manuels) a déjà mis sur pied 2 130 orchestres, 3 787 fanfares, 994 chorales, 10 302 associations culturelles et professionnelles, 6 427 bibliothèques et 11 159 clubs sportifs. L'essor ne s'interrompt pas et en 1941-42, l'organisation atteint les cinq millions d'adhérents ; elle organise des représentations théâtrales in situ aux quelles assistent 600 000 Italiens, et gère 75 compagnies ambulantes (les Chars de Thespis) dont les 4 308 spectacles attirent près de trois millions de personnes. Elle contrôle également plus de 1 000 cinémas et dispense près de 21 000 cours techniques. À partir de 1935, l'État foumit un gros effort pour soutenir fmancièrement la musique et le théâtre italiens. Dans le domaine du cinéma, l'Ente nazionale industrie cinematografiche réalise, lui-aussi, de gros investissements pour réorganiser et harmoniser la production (création du Centro sperimentale di cinematografia et des studios Cinecitta).
Le défi économique
Tout autre bien sûr est le domaine économique dans lequel vont sur venir des bouleversements très importants par lesquels nous tenninerons ce bref panorama. Ici aussi, le fascisme lance un défi, celui de « regagner en quelques années le temps perdu en cinquante ans » et de conduire l'Italie au premier rang des grandes nations industrialisées.
Pour ce faire, Mussolini entreprend une refonte globale, antisocialiste et antilibérale, des structures économiques, refonte dont le pivot central sera le corporatisme qu'officialise la loi Rocco du 3 avril 1926. Nous manquons de place pour détailler ici le fonctionnement qui repose grosso modo sur le groupement rigoureusement parallèle des catégories ouvrières et patronales d'une même zone d'activité au sein de corporations, sur les contrats collectifs établis par les syndicats intéressés avec caractère d'obligation de droit public, et sur le principe de collaboration des classes qui interdit grèves et lock-out.
Dans la pratique, le nouveau régime engage simultanément plusieurs batailles. Au niveau financier, il procède d'urgence à une importante réforme fiscale ainsi qu'à la suppression des emplois inutiles, dans les chemins de fer par exemple, dont les salariés passent de 241 000 (15 au kilomètre) à 135 000. Il s'attache à réduire les dépenses de l'État (35 milliards de lires en 1922, 21 milliards en 1923) et, dans le même temps, à défendre la lire qui, gràce à des mesures sévères, effectue un redressement spectaculaire.
Dans l'agriculture, la « bataille du blé » va permettre une augmentation sensible de la production qui passe de 49 millions de quintaux en 1919 à 71 millions en 1932 et 81 millions en 1933, réduisant d'autant les importations et donc la dette extérieure. Les autres cultures progressent d'une façon similaire, profitant d'une modernisation des techniques et des exploitations qu'encouragent, sur le terrain, les « Cattedre ambulanti d'agricoltura », équipes volantes d'agrobiologistes conseils. Parallèlement, l'État décourage l'exode rural en restreignant par une loi (3 juin 1939) la possibilité de s'installer dans les villes de plus de 25 000 habitants.
Par ailleurs, dès 1923, Mussolini engage une campagne de « bonification intégrale » dont l'intérêt est double puisqu'elle vise à augmenter les surfaces cultivables, mais aussi à assainir les zones marécageuses, génératrices de malaria et de paludisme. Coordonnant les décrets de 1923, 1928, 1929 et 1930, une loi du 13 février 1933 en donne la définition officielle en ces termes : « Les travaux de bonification sont ceux qui sont effectués conformément à un plan général de travaux et d'activités coordonnées, et comportant d'importants avantages hygiéniques, démographiques, économiques et sociaux, dans des secteurs où se trouvent des lacs, des étangs, des marécages et terres marécageuses, ou qui sont constitués de terrains montagneux désorganisés au point de vue hydrogéologique ou forestier, ou bien de terrains utilisés extensivement pour de graves causes d'ordre physique ou social, et susceptibles, une fois travaillés, d'une transformation radicale de l'organisation de la production. » Plusieurs milliers d'hectares sont ainsi gagnés, permettant la construction des villes nouvelles de Littoria (30 juin 1932), Sabaudia (5 août 1933), Pontinia (19 décembre 1934), Aprilia (25 avril 1936) et Pomezia (22 avril 1938), que la guerre et le débarquement allié à Nettuno — tout proche d'Aprilia — allaient, hélas, rendre en grande partie à leur ancienne misère.
Dans l'industrie, les effets de l'électrochoc fasciste sont tout aussi foudroyants. Les réformes juridiques (décrets sur les consortiums obligatoires, autorisation préalable pour les industries nouvelles, etc.) et la dynamique mussolinienne débouchent vite sur des résultats très positifs : hausse en flèche du secteur textile (la production de soie artificielle ne cédant la première place qu'aux États-Unis), progrès spectaculaires de la sidérurgie avec une production triplée pour la fonte, doublée pour l'acier, sextuplée pour le zinc et décuplée pour l'aluminium !
Tandis que le système centralisé d'assurance fournit d'énormes capitaux à l'État (en 1940, l'INPS fournit 4 milliards de lires pour les travaux publics et la construction — érection des digues d'Oschiri et de Tirso, construction de 14 000 immeubles, soit 136 000 logements sociaux ; à Rome, construction du Foro Mussolini et réaménagement du centre-ville — et 3,5 milliards pour la reforestation et le développement rural), celui-ci s'efforce de rationaliser la production grâce à plusieurs nouveaux organismes tels que l'Ente nazionale italiano per l'organizzazione scientifica del lavoro (chargé d'introduire le taylorisme), l'Ente nazionale per l'unificazione dell'industria (chargé des problèmes de standardisation) ou l'Istituto per il credito navale (chargé de la restructuration des constructions navales et de la marine marchande). Une certaine coordination industrielle s'instaure grâce â des agences spécialisées : AGIP pour le pétrole, SAFNI pour la chimie, IMI pour le soutien aux entreprises en difficulté, IRI pour le soutien au secteur privé. C'est à cette époque que l'Italie devient le premier producteur d'électricité (12 milliards de kWh en 1934), ce qui lui permet d'électrifier systématiquement ses chemins de fer (4 722 km entre 1922 et 1942) ; elle ouvre également 7 000 km de routes nouvelles, construit plus de 500 ponts (dont celui de Venise qui fait 4 km de longueur sur 20 mètres de largeur et repose sur 228 arches) et se dote des premières autoroutes (700 km en 1940), développements qui coïncident avec le lancement par Fiat d'une petite voiture à bon marché, la Balilla.
Protection sociale, éducation publique, formation professionnelle, agriculture, industrie, les quelques exemples que nous venons d'évoquer donnent une idée des paris lancés et gagnés par Benito Mussolini Et qui lui vaudront l'admiration de gens aussi divers que Sir Austen Chamberlain, Franklin Roosevelt, Paul Valéry, Henri Bordeaux, Thomas Edison ou Rabindranath Tagore.. « Une nation est grande, disait-il, lorsqu'elle traduit dans la réalité la force de son esprit », ce qu'illustre au mieux le fantastique redressement entrepris sous sa direction par l'Italie de l'entre-deux-guerres. Cette renaissance ne fut rendue possible que par l'exceptionnelle mobilisation d'un peuple italien dont Bainville affirmait qu'« il est un des mieux doués qui soient au monde pour l'intelligence spontanée des grandes nécessités de la politique Les Dictateurs, Denoël et Steele, 1935., et par l'extraordinaire impact d'une doctrine nouvelle, le fascisme, qui se proposait, selon les termes du Duce, d'« ouvrir le chemin à la civilisation véritable et humaine : celle du travail ».