Une résistance oubliée face aux staliniens
Philippe Vilgier , dans Écrits de Paris n° 643 de mai 2002.
Avis aux amateurs de paysages industriels les anciens bâtiments Renault de l’île Seguin (Boulogne-Billancourt) vont dans peu de temps être livrés aux bulldozers. En haut de l’imposant portail mangé par la rouille d’où sortaient les voitures au losange, on voit encore les numéros d’accès aux ateliers de fa brication : 240, 299, 120, 199…
Autant d’ateliers où il ne faisait pas bon s’opposer â la CGT. Particulièrement â l’époque de la guerre froide et du stalinisme triomphant. Aussi convient-il de ne pas oublier les ouvriers patriotes qui, en ces temps difficiles, ont avec un certain succès contré l’action de la courroie de transmission du PC, alors sur nommée CGTK (K pour Kominform) par les syndicalistes libres de la CFTC, de FO et surtout de la CGSI (Confédération générale des syndicats indépendants), née en octobre 1949.
C’est en janvier 1950 que voit le jour le Syndicat indépendant Renault (SIR). Son secrétaire général, Émile Pommier, se donne pour but de défendre les salariés et de regrouper ceux qui refusent de céder à la terreur cégéto-communiste. D’emblée, malgré des pressions constantes (y compris physiques), le succès est au rendez-vous puisque le SIR obtient 9,14 % des voix aux élections des délégués du personnel se plaçant, il est vrai, loin derrière la CGT (74,55 %) mais devant la CFTC (8,57 %) et FO (5,74 %).
Aujourd’hui oublié, Émile Pommier est une figure du mouvement ouvrier anticommuniste. Déjà, en septembre 1936, il est un des fondateurs du Syndicat professionnel Renault (les Syndicats professionnels français ont été fondés en juin 1936 par le PSF du colonel de La Rocque) qui entend « contrecarrer la CGT et supprimer le prolétariat par une collaboration effective entre salariés et patrons ».
Le 28 mai 1952, PC et CGT descendent dans la rue afin de protester contre la présence à Paris du général américain Ridgway, ancien commandant en chef des forces des Nations unies en Corée, accusé sans fondement par les communistes d’avoir utilisé des armes bactériologiques. Comme le souhaite le PC, la journée contre « Ridgway la peste » tourne à l’émeute. Jacques Duclos est interpellé et l’on saisit dans sa serviette un cahier d’écolier couvert de notes prises pendant les séances du bureau politique du PC. Sur le plan syndical, on y apprend que, le 16 mai 1952, le secrétaire de la fédération des Bouches-du Rhône du Parti trouve que l’action contre les transports de matériel de guerre destiné à nos troupes d’Indochine s’affaiblit en partie parce qu’il n’y a « pas assez d’atteinte à l’activité du syndicat indépendant » des Ports et docks de la CGSI.
Pour protester contre l’arrestation de Jacques Duclos, les syndicats CGT de la région parisienne lancent le 4 juin 1952 un ordre de grève illimité sur les lieux de travail. Les usines Renault de Billancourt, symbole du combat ouvrier, sont un enjeu capital. Mais beaucoup de travailleurs, jugeant la grève trop politique, refusent de suivre la CGT. Force ouvrière et le SIR à partir de son bastion, l’atelier 74, décident de répliquer avec fermeté aux « commandos staliniens ». Des incidents éclatent. Le syndicat indépendant apparaît très vite comme le plus déterminé ; ses membres prennent la tête des « ouvriers décidés à chasser eux-mémes les agitateurs », pour reprendre un titre du journal Le Monde (6 juin 1952). L’Aurore du 5 juin nous apprend que, sur l’initiative des responsables de la CGSI (Sulpice Dewez, Raymond Houssard, Maintrieu, Pommier), les travailleurs ont mis au point « un dispositif de résistance et de protection dont l’efficacité s’est vite affirmé ». Il faut dire que certains salariés du SIR, anciens d’Indochine, ont l’expérience du combat rapproché anticommuniste ; on les retrouvera au sein du Groupement de sauvegarde de l’Union française (GSUF) qui verra le jour en octobre 1953.
À l’issue de ce conflit, où il a joué un rôle moteur de résistance, le SIR offrit aux autres syndicats de s’unir à lui « pour mettrefin au régime de terreur que voudrait imposer un groupe d’énergumènes à la solde de la CGT et du Parti communiste ». Les directions confédérales de FO et de la CFTC s’opposèrent au rapprochement des syndicalistes libres de chez Renault. Ce qui n’empêcha pas le SIR de progresser aux élections professionnelles de la fin 1952 où il obtint 13,70 % (69,70 % à la CGT, 11,04 % à la CFTC et 5,48 % à FO). Cependant, le SIR va voir son influence décroître rapidement. La cause ? En octobre 1953, à son congrès national de Lyon, la CGSI sombre dans d’inextricables querelles intestines dont ses syndicats ne se relèveront jamais. Le syndicalisme anticommuniste qui se réclame du drapeau tricolore est désormais marginalisé.