« Emmerder les non-vaccinés » : le macronisme est le trumpisme des élites

Arnaud Benedetti, dans Le Figaro n° 24066 du 6 janvier 2022.

Le président, dans une interview à un quotidien, dit vouloir « emmerder » les non-vaccinés. Il les tient pour « irresponsables » et ne les juge pas digne d’être « citoyens », oubliant par là même qu’il n’est en rien habilité à définir la citoyenneté mais que sa fonction consiste à la préserver pour chacun d’entre nous. Rarement, pour ainsi dire jamais, un chef de l’État sous la Ve République sera allé aussi loin dans la stigmatisation d’une catégorie de Français. Même le général de Gaulle, d’une dureté indéniable dans son combat contre les partisans de l’Algérie française à partir de 1961, et dans des circonstances autrement plus conflictuelles, ne se hissa aussi ouvertement à un tel niveau d’ostracisation des sociologies qui s’opposaient à lui.

Les propos sont évidemment clivants, provocateurs, inopportuns dans la bouche d’un président. Ils disent néanmoins quelque chose sur la nature du macronisme d’une part, sur le contexte que nous traversons depuis le début de l’année d’autre part. Emmanuel Macron fait de sa communication scandaleuse son « bon plaisir ». Porté par des sondages qui pourraient pourtant s’avérer être sur la distance aussi incertains qu’un cruel miroir aux alouettes, le président, à son habitude, désinhibe sa parole, violente une partie des Français, révèle sa nature profonde au-delà de toutes les mesures requises par le statut présidentiel.

Il est comme soulevé par l’hélium virtuel des études d’opinion et il se lâche littéralement ; il le fait néanmoins non sans calcul ; il parle à une partie de sa base sociale, cette classe censitaire pour laquelle le peuple est dangereux, la démocratie un régime qu’il faut contrôler sous réserve qu’il ne bascule dans une forme de déraison, elle qui aurait le monopole de la raison.

Ce calcul a sa forme de rationalité politicienne, quand bien même flirterait-il avec une sémantique de guérilla civile. Il s’inscrit dans la droite ligne d’une pensée unique décomplexée, une idéologie louis-philipparde très fin de règne mais qui trouve un écho certain dans un socle politique qui demeure mobilisé. D’où cette déclaration évidemment indigne mais qu’il juge efficace pour rassembler son camp, dont l’avantage par rapport à la concurrence est de demeurer soudé. Ainsi Macron rappelle à ses troupes qu’elles peuvent compter sur lui. Il les a décomplexées, libérant l’expression du mépris social comme jamais peut-être depuis le milieu du XIXe siècle. À moins de quatre mois du premier tour de l’élection présidentielle, il livre le vrai visage de sa culture idéologique qui n’est autre que celui d’un centrisme autoritaire qui assume tout à la fois sa dérive illibérale et ses politiques les plus ségrégatives. Aucun chef d’État et de gouvernement d’un pays démocratique n’a, ces derniers mois, usé d’une langue aussi peu en résonance avec les canons démocratiques.

Ce tournant n’a rien de surprenant ; il prolonge un engrenage que la crise sanitaire aura tout simplement accéléré. Il y a un point commun entre Donald Trump et Emmanuel Macron : non pas leur base sociologique mais leur détermination décomplexée à la mobiliser au travers d’une communication aussi cash que blessante pour ceux qui s’opposeraient à eux. De ce point de vue, le macronisme n’est rien d’autre que le trumpisme des élites. Il peut être lu comme un sentiment de supériorité social, dont la caractéristique consiste à se maintenir au pouvoir en jouant et se jouant des fractures françaises.

En moins de trois jours, le président aura démenti les pronostics de nombre de commentateurs qui envisageaient sa candidature sous le signe et le sceau du rassemblement ; la Légion d’honneur accordée à son ex-ministre controversée de la Santé, le drapeau européen en lieu et place du drapeau tricolore sous l’Arc de triomphe (et non à ses côtés), ses déclarations désormais dans Le Parisien traduisent une ligne volontairement dure, ramassée sur sa forteresse sociale qu’il juge inexpugnable. Sa stratégie est de nourrir symboliquement et politiquement son électorat le plus arrimé.

Ainsi entre-t-il en campagne en radicalisant pour mieux coaguler et mobiliser son socle. De facto le candidat efface le président, mais tout le problème réside dans cette confusion où le statut présidentiel est subverti sans remords au service d’une cause politicienne. Reste à savoir s’il ne surestime pas son intuition tactique dans un pays qui historiquement reste suffisamment éruptif pour secouer à tout moment les grilles du pouvoir. La « giletjaunisation » électorale comme l’effet d’éviction d’une partie de l’orléanisme électoral vers une offre moins provocante, celle de Valérie Pécresse principalement, demeurent deux menaces réelles, nonobstant l’assurance affichée du président-candidat, qui pèsent sur le sortant.

Arnaud Benedetti est professeur associé à l’université Paris-Sorbonne et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Il publie Comment sont morts les politiques ? — Le Grand Malaise du pouvoir (Éditions du Cerf, novembre 2021).