À propos du gang des Barbares : mais qui osera dire d’où ils viennent ?

Par Gilles Gambier [ps.], dans Le Libre Journal n° 372 du 3 mars 2006, page 6.

Sur le plateau de l’émission « C dans l’air » sur La 5 du jeudi 23 février le sociologue et criminologue Xavier Raufer, la mine étonnamment préoccupée, lui pourtant toujours si rigolard, le commandant de police Patrick Mauduit du syndicat Synergie officiers, l’éternel « éducateur de rue médiateur social », en l’occurrence un certain Yazid Kherfi, « conseiller en prévention de la délinquance », Frédéric Ploquin journaliste, et Yves Calvi animateur de l’émission. Le sujet : « les Barbares sont parmi nous ».

Parmi nous, oui, mais pas issus de notre peuple ni de notre culture. Et cela, on ne le dira pas. Cependant cette émission fut intéressante à plusieurs titres. Par exemple lorsque l’on apprit de la bouche du commandant Mauduit que certaines personnes furent, dans le cadre de règlements de comptes entre bandes, pour ainsi dire entièrement dévorées par des meutes de pitbulls auxquels elles avaient été livrées nuitamment, dans des caves. Ou bien que l’enlèvement, loin d’être quelque chose d’exceptionnel est « un moyen de rétorsion et de représailles assez fréquent dans les cités ».

On pouvait lire le 27 février dans Le Figaro : « Il ne faut pas croire cependant que l’enlèvement d’Ilan, petit commerçant de vingt-trois ans, signe le retour d’un genre criminel tombé en désuétude. L’année dernière, la police judiciaire a recensé près de deux mille séquestrations. Et encore, ne s’agissait-il que des affaires portées à la connaissance des autorités, car les voyous se kidnappent aussi entre eux, pour une dette impayée, pour une affaire de cœur. Et, dans ce cas, la victime mise à l’amende dépose rarement plainte, par fierté sans doute, mais aussi parce qu’elle n’aimerait guère être questionnée sur l’origine de l’argent qui a servi à payer la rançon… » L’article note encore l’impossibilité pour la police de circuler dans les cités, certaines du moins, le repérage instantané de tout étranger en quelques secondes, le caractère impénétrable des bandes à caractère ethnique voire tribal, particulièrement des bandes africaines.

À « C dans l’air » le commandant Mauduit fait l’historique des bandes : début des années 80 les Skinheads se heurtent aux Redskins, leurs rivaux de gauche. Ceux-ci demandent du renfort à une bande intercommunautaire antillaise et portugaise, les Ducky Boys. Cette bande va, c’est le commandant Mauduit qui parle, « métastaser ». La fin des années 80 et le début des années 90 verront apparaître les Zoulous, bandes ethniquement homogènes d’Africains, qui donneront eux-mêmes naissance aux Requins vicieux. Ces Requins vicieux obéissaient à un rite de passage, c’est toujours le policier qui parle : le viol d’une jeune fille blanche. Démantelés, après quelques années et un nombre considérable de viols (c’est-à-dire des vies brisées) les bandes se replient dans les cités. Elles s’homogénéisent ethniquement toujours plus. En ce sens celle de Bagneux (Les Barbares de Yousouf Fofana qui ont torturé à mort Halimi) est une exception puisqu’elle réunissait Africains et Maghrébins auxquels s’ajoutaient quelques blancs dégénérés et assimilés aux envahisseurs. Car disons-le, si le discours de Xavier Raufer (il insiste sur la radicalisation croissante, continue, dans le sens de la violence des actes de ces bandes) est excellent et professionnel, si celui du commandant Mauduit ne l’est pas moins, ni les uns ni les autres ne mettent en cause l’immigration-invasion, mais seulement le crescendo dans la violence, dans l’absence totale de toutes limites, la déconnection de la réalité d’une part de plus en plus importante de ces djeunes zissus.

Un silence assez inquiétant suit la demande d’Yves Calvi au commandant Patrick Mauduit : « Mais sait-on exactement ce qu’Ilan Halimi a subi ? » Réponse de Mauduit, accompagnée d’une expression faciale glaçante : « Il y a un rapport d’autopsie, qui a été lu par la justice et par quelques policiers. » Silence gêné, puis avec un léger bégaiement : « La famille ne sait pas encore ce qu’il a subi. Je préfère ne pas être celui qui le lui dira. » Yves Calvi : « On ne peut pas le dire ? » Patrick Mauduit : « On ne peut pas le dire. J’aimerais qu’on passe à autre chose ».

Voilà où nous en sommes en France aujourd’hui, France dans laquelle on apprend que des gens, des voyous certes mais là n’est pas la question, ont été boulottés presque entièrement par des pitbulls dans des caves, France dans laquelle un jeune homme est torturé d’une manière telle « qu’on ne peut pas en parler », France dans laquelle un climat de terreur — la peur des voisins à Bagneux était palpable — est là, un peu partout, comme une nappe de brouillard. Tout le monde le sent, le sait, se l’avoue ou non, mais c’est une vérité que tout esprit honnête reconnaîtra. Pendant ce temps le régime roule des mécaniques contre les fumeurs, les automobilistes, les buveurs de vin, ceux qui n’ont pas signé leur carte verte d’assurance-automobile ou payé leur redevance audiovisuelle, ou traversé dans les clous. Peut-être plus grave encore il interdit aussi la soupe au lard aux SDF, au motif de « trouble à l’ordre public et discrimination ». Pendant ce temps le gnome grimaçant du ministère de l’Intérieur continue ses rodomontades, alors qu’un rapport de l’armée suisse conjecturait au mois de novembre 2005 : « L’Intifada française annonce-t-elle une guerre civile en Europe ? Les violences urbaines qu’a connues la France ont révélé une situation de conflit basse intensité. La mise au défi des pouvoirs publics signifie que l’heure est à la confrontation, et qu’une guerre civile d’un nouveau genre est inévitable. Voitures incendiées par centaines, affrontements avec la police, saccage des transports publics ou destructions d’écoles : les images issues des banlieues françaises ces dernières semaines sont celles d’une rébellion longtemps redoutée, d’un embrasement qui trahit des ruptures et des antagonismes profonds. »

Le constat des experts de l’armée suisse était implacable.

Pendant ce temps les instances totalitaires et orwelliennes de la Halde et du Haut Conseil à l’intégration, du « ministère de la Cohésion sociale et de l’Égalité des chances » accroissent leurs pouvoirs, et dans le cas de la Halde, en font un véritable tribunal d’exception dont le principe rappelle les « sections spéciales ».

Pendant ce temps les sieurs Moscovici et Patrick Weil estiment qu’il n’y a pas assez d’immigrés, que « tous sont des hommes et que toute discrimination dans les soins, l’accueil, le séjour est intolérable ».

Ce que souligne tout cela c’est le décalage obscène entre un État pléthorique, fortement idéologisé, qui prétend veiller et surveiller tout et tout le monde, et une réalité peu brillante, qui est à l’origine d’un sentiment justifié d’insécurité et de menace permanente pour ceux qui vivent dans certaines zones, et d’une manière plus large, pour toute la population. Alain Finkielkraut, mal vu dans ces colonnes, mais pourtant intellectuel précis et subtil, le dit : le meurtre d’Ilan Halimi comme celui du gendarme Raphaël Clin ont partie liée (il ne faut d’ailleurs jamais oublier Jean-Claude Irvoas et Le Chenadec, nos deux compatriotes assassinés durant les émeutes de novembre [2005]). Ilss sont l’emblème du monde dans lequel nous entrons : l’ultraviolence en est une composante essentielle, vidéos de décapitations et images de la prison d’Abou Ghraib en miroir du comportement des néo-Barbares de nos banlieues.

L’État a le monopole de la violence physique légitime, suivant la célèbre formule de Max Weber. Cette pensée du lien intime entre violence et État traverse d’ailleurs toute la pensée politique moderne. Il faut alors reconnaître que chez nous, particulièrement en France, ce n’est plus le cas. Car la formule implique que l’État a de facto quasiment le monopole de la violence tout court. S’il ne l’a plus, et c’est ce que nous voyons tous les jours, il n’y a plus d’État.

Comment nous en sortirons-nous ?

Au risque de surprendre je dirai que le mot « barbare » est un beau mot. Il ne recèle pas que des éléments négatifs.

Nietzsche, déjà, célébrait les grands barbares blonds du Nord déferlant sur l’Europe pour la régénérer. Bien sûr ceux auxquels nous avons affaire sont loin de correspondre, hélas, à ce portrait. Mais justement nous ne pourrons les combattre et même, disons-le, les écraser, qu’en nous réincorporant une part de barbarie, au sens de la rudesse et de la brutalité. En nous réappropriant l’utilisation de la violence physique légitime, par exemple par la peine de mort. Le Christianisme lui-même, souvent accusé de jouer un rôle dans notre absence de résistance à l’invasion, dans notre amollissement, et qui se définit — paradoxe, car il nous demande de ne pas résister aux nouvelles invasions barbares au prétexte que cette résistance serait elle-même barbare — fondamentalement en opposition avec la notion de barbarie, a comporté lui aussi des éléments de force et d’énergie au cours de son histoire. Par exemple Pie V et Jules II, le « pape à cheval ». Par exemple bien entendu les croisades. Et aussi cette belle institution que fut le Saint-Office.

En somme la civilisation ne survivra qu’en se « barbarisant » en une partie d’elle-même. « Béni soit ce qui endurcit » avait dit Nietzsche : nous y sommes, disciples d’Héraclite et de Jésus-Christ, côte-à-côte pour défendre ce qui reste de notre civilisation européenne.