La deuxième chute d’Allende

Anne Letouzé, Le Libre Journal n° 373 du 15 mars 2006, page 20.

Allende, la face cachée, antisémitisme et eugénisme, par Victor Farias, Ed. Grancher.

L’icône d’Allende a chu du panthéon des saints socialistes, touchée à mort par le livre explosif de Victor Farias : Allende, la face cachée : antisémitisme et eugénisme.

Les yeux encore humides, le monde socialiste rendait jusqu’alors les hommages unanimes dus à ce « socialiste et révolutionnaire, haute figure d’un socialisme à visage humain » (Victor Farias). Salvador Allende, président du Chili de 1970 à 1973, « suicidé » en 1973 (plus probablement liquidé au cours du coup d’État orchestré par Pinochet, franc-maçon lui aussi), fut aux yeux des médias un véritable « chevalier des temps modernes ». Ne s’était-il pas illustré comme grand défenseur des « opprimés » ? Pour preuve sa « lutte » au côté des ouvriers, notamment à Lota dans les années 1960, ou sa politique d’expropriation des grands domaines lancée en décembre 1970.

Qu’a-t’il donc fait pour qu’un docteur en philosophie, Victor Farias, du même bord philosophique et politique que lui, puisse écrire un livre où, au fil des pages, le masque tombe et le chevalier blanc des socialistes se transforme en dragon ?

Salvador Allende, né en 1908, fait des études de médecine à l’Université du Chili. Au terme de sa formation, l’étudiant présente en 1933 une « thèse pour prétendre au titre de médecin-chirurgien de l’université du Chili » intitulée Hygiène mentale et délinquance. C’est ici précisément que la statue du petit saint commence à se fissurer. Non seulement « la thèse d’Allende — dans son ensemble un travail bâclé et très médiocre — constitue un plagiat mal dissimulé » (p. 16-17 ) de plusieurs scientifiques de renommée internationale ; mais Allende y affirme qu’« une des causes naturelles de la délinquance est la “race” ». Il n’est alors pas étonnant d’y voir écrit : « Les Hébreux se caractérisent par des formes déterminées de délit : escroquerie, fausseté, calomnie et surtout usure. (…) Ces données font soupçonner une influence de la race sur la délinquance. » Et le futur médecin et chirurgien (parce qu’il a été reçu !) insiste par ailleurs sur « l’importance transcendantale que l’hérédité pathologique possède sur la genèse du délit. » Il conclut donc tout naturellement : « Aujourd’hui il ne s’agit plus seulement de prévenir et de guérir. Aujourd’hui on prévient, on guérit et l’on sanctionne » (p. 77). Et pour sanctionner, rien de tel que des « mesures radicales » comme la stérilisation obligatoire des aliénés mentaux, car chacun sait bien évidemment que « ces individus constituent les récidivistes éternels, pour lesquels il est inutile de prétendre à une rééducation. »

Simple péché de jeunesse ? Eh bien non : les grands adorateurs du mythe Allende peuvent aller se rhabiller. « Toutes les thèses que Salvador Allende inclut dans son mémoire, et qui sont la cause d’une consternation fondée, vont réapparaître telles dans les années 1939-1941, alors qu’il deviendra ministre de la Santé du gouvernement du Front populaire » (p. 135 ). Et pour cause. Cette « haute figure (du) socialisme à visage humain » présente en 1939 un « projet de loi de stérilisation des aliénés » (sic) dans le but de « rendre à la race, au peuple travailleur, sa vitalité physique, ses qualités de virilité et de santé qui furent hier les caractéristiques supérieures, acquérir de nouveau la capacité physiologique du peuple fort » (p. 143)

Et l’on ne plaisante pas lorsqu’il s’agit de la « défense et (de l’) amélioration de la race » : « Toutes les résolutions dictées par les tribunaux de stérilisations seront obligatoires pour toute personne ou autorité, et seront exécutées, en cas de résistance, avec l’aide de la force publique » (p. 158). Les fous ont du souci à se faire, ils ont trouvé plus fou qu’eux. Fou doublé d’un menteur car Allende trompe son monde lorsqu’il affirme que le projet « a déjà été approuvé au sein de la Société des neuropsychiatres » (p. 148-149). Pourtant nombreuses sont les protestations qui s’élèvent. Le docteur Gustavo Vila objecte : « notre société (scientifique) a le devoir de donner un avis concernant cette loi et, s’il est vrai qu’on pourrait la considérer depuis différents angles, il nous revient tout au moins, à nous, de faire référence de façon primordiale à l’obscur problème de l’hérédité dans les maladies mentales » (p. 185).

Ainsi, faute d’appui, le projet tombe tout simplement à l’eau. Il n’a pas dû malheureusement couler bien profond puisqu’en 2000, « la première présidente du Chili », Michelle Bachelet, alors ministre de la Santé, déterre la loi de stérilisation, « et tout cela s’est fait de façon occulte » (p. 195).

Nouvelle réincarnation du socialisme ou nouveau dragon ? Le moins que l’on puisse dire c ’est que l’excuse du « péché de jeunesse » n’est pas valable.