Les animaux s’invitent aux Oscars

Nicolas Bonnal [ps. Nicolas Pérégrin], dans Le Libre Journal n° 375 du 5 avril 2006, page 17.

Nous sommes à Los Angeles, lors de la cérémonie des Oscars. Toujours malades de la peste brune et de la grippe à bière, les animaux s’en vont défendre le seul film français, le reportage sur les cousins manchots de Skorzeny Junior. La Marche de l’empereur, qui a battu tous les records de recettes pour un documentaire aux États-Unis et dans le monde, écrasant les tristes et récentes performances d’Annaud et de ses tigres, décroche l’Oscar.

— Ouf… fait notre pingouin. Enfin un film de droite.

— C’est un grand blond en avant.

— C’est le seul film hétérosexuel monogame et familial, cette Marche de l’empereur.

— Pérégrin a raison de nous laisser la parole. On est les derniers mammifères politiquement incorrects.

— Eh, nous, on est des oiseaux…

— Cette année, entre les cow-boys pédés, les films anti-discriminatoires, les Truman show qui capotent et la geisha jouée par une Chinoise qui parle en anglais à son amant japonais, il y avait de quoi s’arracher les poils. La subversion a fait fourreur…

— Oh, il y avait Munich, quand même. Même si cela t’a laissé coi…

— Je suis un Munichcoi… Mais j’apprécie de plus en plus les bizarreries de Spielberg. Le personnage de Lonsdale est fascinant : un vieil aristocrate français flanqué d’une nombreuse famille qui informe le Mossad pour qu’il descende les terroristes de Septembre noir, cela vaut le voyage.

— Je le trouve de plus en plus francophile, moi, le Spielberg.

— C’est pour cela qu’on le prive d’Oscars… Vous avez vu le nombre de méchants joués par des Français depuis quelques années à Hollywood ?

— Il y a même un sataniste qui s’appelle Chirac dans Le Mangeur de péchés (The Sin Eater).

— Tu as vu que Clooney, qui investit dans des casinos à Las Vegas et possède un palais à dix millions de dollars sur le lac de Côme, a estimé qu’Hollywood est déconnecté de la réalité américaine, et que c’est très bien ; que c’est grâce à cela que les stars ont imposé la lutte contre les discriminations, pour l’écologie, les doits civiques, que sais-je encore ?

— Il a raison. Moi si j’avais dix millions de dollars je lutterais aussi contre les discriminations. Plus on est riche plus il faut se faire bien voir.

— C’est la promesse de Chesterton et de Tocqueville : les riches et les privilégiés promeuvent les révolutions. Enfin, celles qui marchent. Qui a vu Brokeback Mountain ? Le film était sorti dans cinq salles avant d’être imposé par les médias.

— Moi je l’ai vu… je suis sorti terriblement déprimé. Et leurs pauvres femmes aux cow-boys John Oui… Quel dommage, j’avais tant aimé Raison et Sentiments et bien sûr Tigre et Dragon.

— Il fallait se défouler sur la geisha !

— Les mémères d’une geisha ? On a bien rigolé, mais c’est ennuyeux à la fin.

— Bon, et si on parlait de films sérieux ?

— Narnia ? Pas d’Oscars, pas de nominations.

— Mais moi je n’ai pas aimé le film. On te montre des animaux numériques qui s’expriment comme nous, mais les petits princes sont vêtus de peaux de bêtes. Il faut être cohérent quand même !

— Et en plus ils passent de « l’Autre Côté » par une armoire à fourrures.

— Mein fourreur is rich !

— Je n’ai pas aimé non plus le sacrifice du lion tondu, ça sent un peu la parodie chrétienne.

— C’est pour cela qu’on le prive d’Oscars…

— Il y a eu un film sur C. S. Lewis et son mariage blanc avec une juive divorcée, communiste et malade (qui demande un discount à Dieu sur son lit de mort).

— Je l’ai vu, il est joué par Anthony Hopkins. Et par Debra Winger, ancien officier de Tsahal et excellente actrice.

— Ceci dit il ne faut pas exagérer. Hollywood a récompenséen son temps Le Seigneur des Anneaux et même Braveheart.

— Mais Gibson, la dernière fois, il a eu droit à la couronne d’épines.

— Ceci dit, il les a bien eus quand même.

— Et King-Kong ?

— Politiquement incorrect aussi. Il aime les vraies blondes mais il n’aime pas les sauvages de l’Insulinde.

— J’ai revu Le Tigre d’Eschnapur de Friz Lang. Un grand film sur la révolte des Kshatriyas contre la caste des brahmanes, le paganisme fou et les bunkers hindous…

— Les tombeaux, les tombeaux…

— L’architecte allemand, il a sans doute été inspiré par un épisode de jeunesse d’Albert Speer, qui était parti travailler en Afghanistan.

— Il semble moins lâche que Speer, cet architecte. Il doit avoir un reste du film muet de Lang, L’Anneau des Niebelungen.

— Tout avait été écrit par sa femme Thea von Harbou, qui avait adhéré au parti en 33. C’est elle qui avait écrit Métropolis, Les Espions et Les Trois Lumières.

— Il faut reparler de ce cinéma européen, français, allemand ou italien, de ces coproductions d’avant la fin du monde.

— Marianne de ma jeunesse, de Duvivier. La grande tragédie bavaroise et nervalienne. Michel Strogoff avec Curd Jürgens. Les Eddy Constantine…

— Tout a changé de face depuis que sur ces bords les dieux ont amené…

— La fille de Minos et de Pasiphaé !

— Enfin presque La Nouvelle Vague.

— C’est le tournant de la fin des années 50, la fin de l’âge d’or des studios, des jolies filles et de la photographie, la fin des temps cinématographiques.

— Je veux m’enfermer dans une chambre froide avec les films de René Château.Je serai le maître du Haut-Château.

— Compliquée, ton allusion.

— On s’en fout.

— On va entarter Clooney ?

— Pas que lui. Nous incarnons la civilisation animale. Contre les Bush-men.