Les Loups gris vont entrer dans Paris

Jean-Gilles Malliarakis, Le Libre Journal n° 375 du 5 avril 2006, page 8.

Pourquoi diable la préfecture du département (français) du Rhône a-t-elle autorisé, le 18 mars, une manifestation de Turcs venus d’Allemagne contre un projet de mémorial du génocide arménien ?

« Il n’y a jamais eu de génocide arménien », avaient-ils osé inscrire sur leurs pancartes. Certes ce ne devrait être ni aux tribunaux, ni aux règlements, ni même à la loi, de prétendre fixer la vérité historique et cela vaut, quoique cet événement n’appartienne pas à l’histoire de France, pour le massacre des Arméniens en 1915, largement organisé par le gouvernement Jeune-Turcs.

L’atrocité du traitement infligé aux Arméniens, programmé par le fameux Talaat Mehmet Talaat Pacha (1874-1921) (N. D. É.), n’a pas à être comparée à telle ou telle autre : elle n’est guère contestable pour ce que j’en connais.

Néanmoins, les historiens, polémistes ou propagandistes turcophiles qui, croyant rendre service à la vérité, complaire à la Turquie ou contribuer aux relations euro-turques, désirent contester, ergoter sur les intentions voire nier les faits relatés par le diplomate américain Morgenthau ou par le grand humaniste norvégien Nansen, devraient pouvoir le faire librement, en France comme dans toute l’Union européenne.

Les organisations arméniennes font preuve de courage et d’acharnement pour interdire la propagande turque, mais le résultat est seulement qu’elles parviennent à la contenir dans les limites du tolérable. Et, je le dis comme je le pense, ces limites, apparentes et hypocrites, rendent probablement plus service à la Turquie qu’elles ne donnent une (petite) satisfaction symbolique aux descendants de ses victimes. Car elles rendent présentable la prétention européenne d’Ankara : l’action des Loups gris répendus en France, en Belgique et surtout en Allemagne, a pour effet bénéfique, de la rendre odieuse.

Le cas des Loups Gris est en effet un cas d’école.

À partir de la guerre d’Afghanistan, les fameux Loups gris, c’est-à-dire le parti MHP du colonel Alparslan Türkes, ont développé, à leur manière une « solidarité musulmane » active Ce qui peut sembler a priori étrange pour un mouvement officiellement « laïque » et kémaliste. Mais on dit tant de sottises sur l’Islam et le kémalisme…. Les Loups gris ont su faire preuve également d’une haute technologie mafieuse qui les fait retrouver au cœur de tous les trafics, impliqués dans les affaires de corruption les plus glauques de la vie politique turque

L’affaire la plus spectaculaire fut l’accident de voiture survenu le 3 novembre 1996, à Susurluk, à quelques 150 kilomètres au sud-ouest d’Istanbul. De l’épave de la même grosse Mercedes on a dégagé ce jour-là les corps de Huseyin Kocadag, un haut responsable de la police turque qui commandait des unités anti-guérilla, d’Abdullah Catli, un dirigeant des Loups gris également recherché pour trafic de drogue et meurtre, et celui de sa compagne, Gonca Us, une ancienne reine de beauté devenue femme à tout faire de la Mafia. Le quatrième passager a survécu : Sedat Bucak, qui était le chef d’une milice kurde financée par le gouvernement d’Ankara pour lutter contre la guérilla du PKK. Dix ans plus tard la réalité de cette collusion évidente n’est toujours pas élucidée malgré les changements politiques apparents qui se sont produits en Turquie.

Jusqu’alors on soupçonnait « simplement » les Loups gris de financer leurs activités grâce à l’argent de la drogue.

Aujourd’hui on sait qu’ils ont toujours été, sur ce terrain comme sur d’autres, les exécuteurs des basses œuvres des services secrets et des réseaux de pouvoir militaires turcs. Ils jouent ce rôle ouvertement par exemple à Chypre, depuis 1974. Ils l’ont joué au Liban, en 1982, au moment de l’arrivée des Israéliens à Beyrouth.

Sur l’échiquier complexe du Proche-Orient, les relations turco-israéliennes ont toujours revêtu un côté paradoxal, sinusoïdal et explosif. En 1956, la Turquie rappelle son ambassadeur de Tel-Aviv au moment de la crise de Suez. En 1975, la Turquie vote la fameuse résolution onusienne, aujourd’hui abrogée, assimilant le sionisme au racisme et au colonialisme. Au Liban en 1982 l’armée turque refusera de participer officiellement à l’offensive israélienne : elle confiera officieusement le soin de liquider sur place les bases de l’Asala aux Loups gris.

Leurs réseaux sont également très actifs dans les Balkans, toujours en liaison avec les minorités musulmanes et certaines confréries quasi mafieuses. Une très grande opportunité pour ces forces de l’ombre correspond au retour au pouvoir à Tirana en juillet 2005 de Sali Berisha. Cet ancien chirurgien au regard de tueur avait été chassé du pouvoir en 1997 par des émeutes populaires occasionnées par l’incroyable scandale financier des « pyramides ».

Son retour a accéléré la transformation de l’Albanie en plate-forme mondiale de l’héroïne qui passe à 80 % par ce pays. Tout compte fait, l’opération la moins réussie des Loups gris aura été la tentative d’assassinat de Jean-Paul II le 13 mai 1981 par un de leurs hommes de main, Ali Agca.

Vingt-cinq ans plus tard cependant, on fait mine de croire encore à une « piste bulgare » menant dans cette affaire au KGB : à supposer que telle soit la vérité, il serait intéressant de s’expliquer alors les liens entre les Loups gris et l’ancien empire soviétique. Les Loups gris avaient d’excellentes raisons « nationales turques » de vouloir frapper le pape le jour même où il s’apprêtait à annoncer sa volonté de réconciliation avec les orthodoxes. Cette volonté sera théorisée plus tard dans sa lettre encyclique Slavorum Apostoli (2 juin 1985), dans sa lettre apostolique Orientale lumen (2 mai 1995) et surtout dans l’encyclique Ut unum sint (25 mai 1995). Elle dérange, à l’évidence, beaucoup plus le nationalisme turc que les héritiers du KGB.

Quoi qu’il en soit, on peut se demander pourquoi la France ménage une telle organisation en lui demandant seulement de tenir des propos respectables.

L’explication la plus vraisemblable est que, paralysé par la minorité musulmane évaluée à 9 % de la population et 16 % des naissances, le pouvoir chiraquien, ne veut surtout pas, en leur demandant de choisir une bonne fois entre l’assimilation et le rapatriement, indisposer les pays du tiers-monde exportateurs de populations.

Pas touche par conséquent aux respectables héritiers des Jeunes-Turcs, qu’aimaient tant autrefois les radicaux-socialistes, et pas touche aux admirateurs totalitaires du kémalisme.

Pas touche aux Loups gris : il leur suffit de se proclamer agneaux.

La République française, bonne fille, tolérante et sensuelle, fermera les yeux.

Quand donc les ouvrira-t-on ? Quand ils entreront, pour de bon, dans Paris ?