Danrit, un Jules Verne maudit
Claude Timmerman, Le Libre Journal n° 377 du 27 avril 2006, page 20.
Passée l’année Jules Verne, il n’est pas inutile de rappeler l’œuvre qui pourrait s’avérer prophétique d’un de ses brillants émules : le colonel Driant.
Né le 11 septembre 1855 à Neuchatel (Aisne), cet officier, époux de Marcelle Boulanger (la fille du général), finira ses jours, couvert de gloire et de décorations, lors des combats du Bois des Caures, à Verdun, le 22 février 1916.
L’essentiel de sa carrière passée dans l’empire colonial français lui inspira une série de romans de politique-fiction qu’il signa du pseudonyme de « capitaine Danrit ».
Les plus caractéristiques, tous publiés chez Flammarion, sont : les trois parties de La Guerre de demain (La Guerre de forteresse ; La Guerre en rase campagne ; La Guerre en ballon). Les trois parties de La Guerre du XXe siècle : l’invasion noire (Mobilisation africaine ; Le Grand Pèlerinage de La Mecque ; Fin de l’Islam devant Paris). Les trois parties de La Guerre fatale (À Bizerte ; En sous-marin ; En Angleterre) les trois parties de L’invasion jaune (La Mobilisation sino-japonaise ; Haine des Jaunes ; À travers l’Europe), L’Alerte (1910) et Les Robinsons souterrains réédité sous le titre La Guerre souterraine.
Ces titres et leurs subdivisions suffisent à cerner le personnage : magnifiquement patriote, nationaliste, militariste, impérialiste, Danrit pressent, à cette charnière du XXe siècle, les conflits à venir, et en prophétise littéralement le caractère ethnique en une série de romans de géopolitique fiction. Ce démocrate très tiède voue un mépris hautain aux politiciens, manifeste une hostilité évidente vis-à-vis de la presse, entretient une forte suspicion face à la franc-maçonnerie, ne cache pas sa méfiance à l’égard de l’Angleterre, et exprime un antisémitisme tranquille (dans L’Invasion jaune il évoque la « lugubre affaire Dreyfus »… ). En somme un auteur assez éloigné des critères du « politiquement correct » !
S’il croit, comme Jules Verne, aux avancées de la science, il redoute, lui, son utilisation et son exploitation belliqueuses. Comme il l’écrira dans la conclusion de L’Alerte : la science doit être au service de l’idéal patriotique. Et Danrit de décrire toutes sortes de machines fantastiques utilisées pour les guerres de demain et même l’emploi des armes de destruction massive (gaz, bactéries, etc.)
Le thème de L’Invasion noire est brûlant d’actualité : dans cet énorme pavé de plus de mille deux cents pages, Danrit imagine tout simplement le déroulement de l’invasion de l’Europe par un islam arabo-africain fédéré sous la houlette du sultan Abdul-M’hammed.
Plus de treize millions de combattants venus de tous les horizons de l’Afrique Noire, du Proche et du Moyen-Orient massacrent partout les Blancs et envahissent l’Europe en remontant la vallée du Danube. Devant Paris les hordes noires seront finalement exterminées par les gaz de combat… Toute l’intrigue est suivie par deux officiers français qui en racontent l’histoire ; on y trouve aussi deux traîtres : un Juif, interprète du tsar de Russie, et un Anglais renégat, génial inventeur d’explosifs, au service du sultan…
En France, le danger conduit à confier les pleins pouvoirs à un maréchal (c’est écrit quarante-cinq ans avant Vichy). Un descendant de Jeanne d’Arc, qui gouverne avec son état-major et un aréopage de savants. Bouleversée au terme de cet immense chambardement, la carte politique de l’Europe voit disparaître le Royaume-Uni condamné par la coalition franco-russe à un blocus mondial, et naître le Royaume Celtique d’Irlande, constitué de l’Eire, de l’Écosse et du Pays de Galles. La perfide Albion se voit réduite à l’état de province danoise sous le nom de Petite-Bretagne… Les États du continent, eux, se regroupent en trois entités : confédération gréco-latine (avec la France), confédération germanique et confédération slave. La Suisse éclatée est partagée entre les confédérations de ses peuples d’origine.
Les Juifs sont installés au Moyen-Orient et les derniers islamistes chassés dans le désert de Gobi où ils seront vaincus par la famine.
« Ainsi, conclut Danrit, le XXe siècle, marqué par la lutte la plus gigantesque qu’eut jamais enregistrée l’histoire ou la légende, vit, au sortir de ce redoutable défilé, la réconciliation des peuples de race blanche et leur retour aux principes de Justice et d’Humanité. Le sang versé par l’invasion noire, au lieu de noyer la vieille Europe, l’avait fécondée, tant il est vrai que la guerre lorsqu’elle est soutenue par une cause juste, lorsqu’elle a pour enjeu l’existence et la liberté, est toujours une leçon, un enseignement. C’est elle en effet qui retrempe les races, elle qui arrête les nations sur la pente de la décomposition sociale : elle enfin qui rend aux individus le sentiment du devoir et du sacrifice. »
On comprend pourquoi Danrit n’est pas réédité !
Le thème de « l’invasion jaune » est du même acabit, le tsar de Russie étant au cœur du problème ; La Guerre fatale décrit la lutte contre l’Angleterre.
Ce qui est le plus intéressant dans tout cela, c’est la vision géopolitique de l’auteur, véritable visionnaire de notre époque, ce qui lui vaut les foudres des commentateurs actuels les mieux intentionnés : il suffit de lire, par exemple, le court article consacré à L’Invasion noire par Harry Morgan qui décrète Danrit raciste, xénophobe, antisémite, belliciste, mauvais écrivain.
Le comique de l’affaire est que ce Harry Morgan n’hésite pas à écrire que L’Invasion noire a pour principal défaut « l’absurdité de ses prémices : l’union sacrée des arabo-musulmans » et « deux absurdités stratégiquement parlant : les islamistes ont la faculté de s’organiser de façon spontanée (…) ; les islamistes peuvent vaincre, en dépit de leur infériorité technique et organisationnelle, grâce à l’effet de masse et à deux caractéristiques de la mentalité musulmane : le fatalisme et le fanatisme. »
Le lecteur appréciera la pertinence du reproche… À l’évidence, Morgan n’a jamais entendu parler de Ben Laden ni de l’enclave espagnole de Ceuta où déferlent des hordes de clandestins, ni de l’insurrection des banlieues occupées.
L’Invasion noire, L’Invasion jaune, sont-ils des anticipations ou des fictions ? C’est toute la question.
Leur issue est en tout cas moins désespérante que celle du Camp des saints écrit soixante ans plus tard par Jean Raspail sur un thème proche. Mais la mise en perspective de ces œuvres et des réactions qu’elles suscitent permet de mesurer le désastre subi par le patriotisme assassiné par le totalitarisme xénolâtre.