La vérité contre la Pravda
Patrick Gofman, Le Libre Journal n° 378 du 18 mai 2006, page 23.
Avouons : la revue Aventures et Dossiers secrets de l’Histoire (ouf ; on l’appellera plutôt ADSH) n’est pas très en avance avec sa couverture, puisqu’elle se fonde sur un livre de 2003, lui-même déterminé par l’ouverture d’archives américaines en 1996… Et Le Libre Journal n’est pas moins à la traîne ! Nous avons lu La Trahison des Rosenberg en 2005 seulement, et nous ne vous en avons pas fait part… Crainte de froisser les mânes de Sartre ou les restes d’Alain Decaux, chantres des « innocents Rosenberg » ? Peur de passer pour anticommunistes primaires ? Ou même judéophobes ?
Assez d’autocritique. Rattrapons le temps perdu. Et dispersons les cendres encore chaudes de la campagne stalinienne de 1952-1953, dans le monde entier : innocentes victimes de l’antisémitisme américain, les Rosenberg ne doivent pas mourir ! Sacré Staline : il mijotait dans le même temps une autre campagne, réellement antisémite celle-là, le « Complot des Blouses blanches »…
ADSH s’est assuré la collaboration d’Aftalion Florin Aftalion, La Trahison des Rosenberg, JC Lattès, 2003. Florin Aftalion vient de publier Alerte rouge sur l'Amérique. Retour sur le Mccarthysme, JC Lattès, 2006. pour évoquer la passionnante affaire Rosenberg. Julius est issu du City College de New York, fief stalinien avant la guerre. Dès 1941, il constitue un réseau d’espionnage qui livrera au Soviétiques, par milliers de pages, des secrets américains touchant la bombe atomique, le radar et l’aviation. Il n’est arrêté que le 17 juillet 1950. Grâce essentiellement au « Projet Venona » : décodage des messages soviétiques transitant par la… Western Union ! Le contre-espionnage américain ne veut évidemment pas révéler aux Russes qu’il lit à livre ouvert dans leur correspondance « diplomatique ». Les Rosenberg, qui nient farouchement, seront donc condamnés et exécutés sur le seul témoignage des maillons faibles de leur réseau. Ce qui ouvre un boulevard au puissant appareil de propagande soviétique de la Guerre froide.
ADSH complète ce palpitant récit en interrogeant Aftalion. Notamment sur la personnalité de McCarthy, encore présenté comme un monstre dans un film américain de cette année Good Night, and Good Luck, de George Clooney. Voir Le Libre Journal n° 369 du 2 février 2006.. Alors, un saint ? Pas tout à fait : « Joseph McCarthy était un homme pressé. Élu sénateur en 1946 il a cherché désespérément pendant plus de trois ans la cause qui le rendrait célèbre et le ferait réélire en 1952. Avec son compére Roy Cohn, il a indéniablement appliqué des méthodes staliniennes à la lutte contre le stalinisme aux USA. Mais en s’en prenant à l’armée il provoqua l’ire du (général) président Eisenhower qui organisa sa chute : en étant censuré par le Sénat il perdit toute crédibilité.
Autre question intéressante, et surprenante, soulevée par la revue dans un entretien avec Steve Usdin, auteur d’une biographie de Joel Barr Engineering Communism, Yale University Press., ingénieur du City College et membre du réseau Rosenberg réfugié en URSS, où il a fondé la microélectronique d’application militaire : si à son apogée, avant guerre, le PC des USA, vrai nid d’espions, était juif à 50 %, son patron Earl Browder ne l’était pas. Non plus que la majorité des agents soviétiques aux États-Unis, plutôt apparentés au patricien Alger Hiss ou aux « Quatre de Cambridge » car l’antisémitisme généralisé de la société américaine écartait les Juifs de nombreux postes clefs et donc des meilleures sources de renseignement… On referme cet excellent numéro d’ADSH tout rêveur : la vraie vérité sur les magouilles et trahisons d’aujourd’hui, nous n’avons donc plus qu’une petite cinquantaine d’années à l’attendre ! Et alors Clearstream sera bien un courant d’eau limpide.