Galouzeau le Scorpion et la grenouille française

François Brigneau, Le Libre Journal n° 379 du 30 mai 2006, page 4.

15 mai. L’Affaire domine toujours l’année électorale. Elle devient de plus en plus mouvante et tordue, pleine de chausse-trapes, de tableaux de genre peints en trompe-l’œil, de mensonges gigognes proférés au nom de la raison d’État par un État qui n’a plus toute sa raison.

À vos rangs, fixe ! La dernière pantalonnade est l’œuvre du général Rondot. À l’unisson la presse le présente avec déférence comme l’inconnu le plus célèbre des services secrets. Un « maître espion ». Encore un signe des temps nouveaux. Jadis l’espion n’inspirait que le rejet. Dans leurs jeux les enfants se voulaient guerriers, vainqueurs ou vaincus, mais à visage découvert. Personne ne voulait faire l’espion. James Bond a changé la mode. Malheureusement, dans la circonstance, 007 c’est zéro.

Villepin, sans doute sur ordre de l’Élysée, certainement avec son accord, avait chargé le général Rondot d’une mission secrète. Il s’agissait de savoir si Sarkozy était mouillé dans l’affaire Clearstream. Possédait-il à l’étranger des comptes fantômes et vagabonds, que nourrissaient les retombées du marché des frégates ? Si oui, l’histoire était dans le sac. Le petit Nicolas irait à la présidence de la République avec mes bottes. Pendant la durée de son enquête, le général, soucieux de la légalité jusque dans l’illégalité, consigna par écrit les conversations avec ses mandants et le résultat de ses observations. Mais quand la maison Poulaga surgit pour perquisitionner chez lui, il n’eut pas le réflexe d’avaler ses notes comme l’aurait fait n’importe quel agent secret de série B.

Pour un maître espion, c’était piteux. Le général s’était conduit comme un bleu. Les magistrats instructeurs purent se régaler en découvrant, calligraphiées à la plume sergent-major, des affirmations comme celles-ci : le Premier ministre parle : « Si nous apparaissons, le PR (président de la République) et moi, nous sautons. »

Notre République cancanière garantit le secret de l’instruction. En conséquence magazines et quotidiens purent aller plein pot. Le général retrouva ses pense-bêtes explosifs et ses raccourcis ravageurs publiés en fac-similés, pleine page, avec en une des titres qui donnaient aux analphabètes l’envie de lire. Force était de l’admettre, la mission secrète tombait dans le domaine public. Fait pour dessouder un personnage, le scandale éclaboussait tout le monde sauf lui. La faillite était totale. Comment le général allait-il réagir ? Certains redoutaient le pire. Chez un militaire, seul le sang pouvait laver un pareil fiasco. L’honneur l’exigeait. On voyait déjà le Vatel du renseignement, maître cuisinier des investigations, s’embrocher à la baïonnette. Dieu merci il n’en fut rien. Autre temps, autres mœurs. Tout fout le camp, madame Michu, même les beaux gestes inutiles. Le général trouva une autre forme de sacrifice : le silence. Il sortit côté cour en mangeant son képi, et en niant ce qu’il avait consigné. On l’avait mal lu et mal compris : « Nous sautons » signifiait « nous sautons de bonheur. »

Pour faire bon faux-poids, il répondit à un journaliste qu’il ne répondrait pas aux juges s’ils voulaient l’interroger. L’armée c’est la grande muette. Cette dérobade n’en est pas moins le plus éloquent des aveux. La preuve de l’intervention du haut commandement. Dans la pratique de la magouille le pouvoir a plus de pouvoirs que dans l’exercice de ses fonctions.

« Le nouveau Watergate. » C’est le nom que certains commentateurs donnent à l’affaire Clearstream. La comparaison me paraît fallacieuse, au moins pour deux raisons. D’abord, dans le Watergate, le président Nixon, entre deux cuites et trois bordées d’injures graveleuses, faisait espionner le parti ennemi. C’était de bonne guerre. En revanche le président Chirac, qui ne se rafraîchit qu’à la bière et dont on sait le langage fleuri, c’est son propre parti qu’il fait espionner et manipuler par son housard fidèle. Ensuite, dans le Watergate, le pot aux roses découvert, le sort du président Nixon fut plié en trois coups les gros. Il sauta comme un bouchon. Nous en sommes loin. « Attendons que justice se fasse », à déclaré Villeperlimpinpin qui, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, en 2004, décora de la Légion d’honneur Gergorin, le corbeau (ou l’un des…). Attendons. On a l’habitude, depuis saint Louis. Je lis que le Garde des Sceaux, Clément, le poupon terrible, venait de nommer deux juges d’instruction supplémentaires. Ils seront quatre à se marquer à la culotte. L’embrouille sera complète. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge.

16 mai. Assemblée nationale. Débat sur la motion de censure déposée par Petit Hollande, cabré, cambré, dressé sur son ego. Il voudrait précipiter le mouvement de décomposition du système. Si les élections avaient lieu ces jours prochains, les éléphants n’ayant pas eu le temps de sortir de leur cimetière, Ségolène serait sûrement élue présidente de la République. Qui choisirait-elle comme Premier ministre ? Le meilleur, bien sûr. C’est-à-dire son petit François chéri. La République de l’amour, la compagne à l’Élysée, le compagnon à Matignon, ils coucheraient dans un drapeau tricolore. Ce serait le pied… La fête… L’air enflammé de petit Hollande s’explique.

À propos de compagnon, j’ai lu que MAM Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Défense. (N. D. É.), la cheftaine de nos armées, appelle le sien, à savoir Patrick Ollier, député-maire de Rueil-Malmaison, « mon conjoint » Le mot sonne mal. Il prête à des plaisanteries de garçon de bain. Mais ce qui est le plus grave c’est qu’il pourrait faire accuser MAM de faux et usage de faux.

Depuis 1418 en effet conjoint désigne « une personne jointe à une autre par les liens du mariage ». C’est le Robert qui l’affirme. On peut lui faire confiance. Que MAM ignore la géographie au point de faire passer le Clemenceau par la mer Rouge pour aller de Toulon à Brest, à la rigueur ça s’excuse. Mais qu’elle triche en feignant de ne pas savoir ce que veut dire conjoint, alors qu’elle est docteur en droit, titulaire de plusieurs diplômes d’études supérieures, non ! Il lui fallait dire « mon concubin ». Le nom n’est pas plus joli. Mais il est vrai.

Retour à l’Assemblée. Comme toujours la retransmission télévisuelle est truquée. On entend l’orateur. On n’entend pas les députés, ceux qui l’approuvent et l’applaudissent comme ceux qui le contredisent et le huent. Je le regrette. J’aime enrichir mon vocabulaire.

La censure est un truc. Il permet au gouvernement d’obtenir la confiance de l’Assemblée pour poser la question. Ici en effet on n’appelle pas à voter pour, mais à voter contre. Du coup seule l’opposition s’exprime. Comme elle est minoritaire, le gouvernement n’est jamais censuré. CQFD. On doit cette mirifique trouvaille à Debré père. Un malheur n’arrivant jamais seul, c’est Debré fils qui préside la mascarade. Figé au sommet de son perchoir il s’est fait une tête d’abruti particulièrement réussie. Ce rôle de composition ne lui demande aucun effort.

À la tribune, le Premier ministre a le masque. Même si le fourbe a l’habitude d’avancer masqué, ça se remarque. La gauche a fait le plein. À droite, sur les 364 députés qui décomposent la majorité, 204 sont allés aux fraises. C’est la saison. On en voit qui entrent, sortent, vont, viennent, pendant que le Premier ministre parle, façon de faire comprendre à Dominique qu’il ne les niquera pas.

Galouzeau peine. Il lit laborieusement un discours malpensé et mal écrit. Il essaye de faire illusion en enfilant des phrases creuses faites de mots vides : « La rumeur nourrit la rumeur… Le mensonge nourrit le mensonge… » Mais qui a fabriqué le mensonge pour alimenter la rumeur ? Qui a fourni le fromage au corbeau ? Qui l’a posé sur sa branche ?

Quand il redresse la tête Galouzeau « de » Villepin jette sur les « connards » — c’est ainsi que ce démocrate professionnel appelle, dans son privé, les représentants du peuple souverain — un regard rétréci, pointu, méchant, à la fois inquiet et inquiétant.

Galouzeau « de » Villepin est né le 14 novembre 1958. Astrologiquement, c’est un Scorpion (23 octobre-21 novembre), « animal noir pourvu d’un dard empoisonné », écrit le Dictionnaire des symboles, qui ajoute : « Cette réunion compose un monde de valeurs sombres propres à évoquer les tourments et les drames de la vie jusqu’au gouffre de l ’absurde, du néant, de la mort… Le signe est placé sous la maîtrise planétaire de Mars ainsi que sous celle de Pluton, puissance mystérieure et inexorable des ombres de l’enfer, des ténèbres intérieures… On voit se camper une dialectique de la destruction et de la création, de la mort et de la renaissance, de la domination et de la rédemption… Dans un pays en rouge et noir, l’individu prend racine dans les convulsions de ses entraves et il n’est vraiment lui-même que secoué de la transe sauvage d’un démon intérieur qui a soif, non de bien-être mais de plus-être, jusqu’au goût âpre de l’angoisse de vivre, entre l’esprit de Dieu et la tentation du diable. Cette nature volcanique fait du type Scorpion un oiseau dont les ailes ne se déploient à l’aise qu’au milieu des tempêtes, son climat étant celui des orages, son pays celui de la tragédie. »

Rassurez-vous. Je ne suis pas encore mangé aux mythes. Le Scorpion me rappelle surtout une histoire. Elle ne manque pas de piquant et ne nous éloigne pas trop du sujet.

Un jour, allant on ne sait où, le scorpion voulut traverser la rivière. N’ayant pas son bac et ne sachant point nager, il s’en fut trouver la grenouille : « S’il vous plaît, pour passer sur l’autre rive, permettez que je prenne place sur votre dos », lui dit-il. Pas folle la guêpe, la grenouille se mit à rire. « Plus souvent, répondit-elle, je vous connais, beau masque. À peine seriez-vous sur mon dos que vous me piqueriez, assassin ! » « Moi ? Vous piquer ? » Le scorpion levait vers le ciel un regard navré. « Comment une grenouille aussi intelligente que vous peut-elle proférer de pareilles insanités ? Si je vous piquais, nous coulerions tous les deux. Je n’atteindrais jamais l’autre rive. Où serait mon intérêt ? » La grenouille réfléchit un instant en riboulant de ses gros yeux tendres et en se grattant les cuisses, signe chez les grenouilles d’une profonde perplexité : « Ça c’est bien vrai, finit-elle par dire avec l’accent de la mère Denis. Où serait votre intérêt ? Vous m’avez convaincue, vieux forban. Allez, en route, mauvaise troupe. Montez là-dessus et nous verrons Montmartre ! » Mais au milieu de la rivière, comme la grenouille l’avait prévu, le scorpion la pique. « Excusez-moi, murmura-t-il dans un sanglot. Je suis né pour piquer, c’est dans ma nature. Il faut que je pique. Même si je me tue en piquant les autres… » Lentement le bourreau et sa victime s’enfoncèrent dans l’onde amère et déjà les brochets qui rôdaient sous les saules, s’approchaient, les yeux brillants. « Mais qui sont les brochets ? » font semblant de demander Strauss-Kahn, Fabius, Lang, Kouchner (entre autres). Et leurs yeux ne sont pas moins brillants.

Vous direz que nous sommes bien loin de l’affaire Clearstream et des dégâts en chaîne que ses comploteurs-promoteurs ont causés. Je n’en suis pas si sûr.