Michel Audiard
Jean Mabire, Que lire ? volume 4.
Quand le populaire cause…
Le fait est là : le livre Audiard par Audiard est le grand succès de l’été 1995. L’idée était bonne, pour le dixième anniversaire de sa disparition, survenue le 27 juillet 1985, de rassembler des extraits de ses meilleurs dialogues et d’y ajouter un savoureux autoportrait, quelques textes de lui et des témoignages de ses amis. Cela s’appelle « hommage ». Dans « hommage », on pourrait y voir le mot « homme ». Car Michel Audiard en fut un, et un vrai, avec ses qualités et ses défauts, sa gouaille, son mépris des conventions, son inaltérable fidélité à ses copains. Qu’il fût en son temps le meilleur dialoguiste du cinéma français, au grand dépit des pseudo-intellos qui le traitaient de « populaire » et même - oh, horreur ! - de « populiste », mais qu’il osât, de plus, dire leur fait à tous les crétins solennels drapés dans les grandes idées patriotardes et humanitaires, voilà qui est bien réjouissant et nous change de tous les pétitionnaires conformistes si prompts à se transformer en va-t-en guerre, avec la peau des autres, bien entendu. Une des répliques donne bien le ton de ce sympathique gros bouquin, à mettre d’urgence entre toutes les mains : « Je suis ancien combattant, militant socialiste et bistrot. C’est dire si dans ma vie j’ai entendu des conneries… » En trente-cinq ans de carrière, il n’a certes pas écrit que des chefs-d’oeuvre, mais il a donné au cinéma de notre pays un ton qui n’appartenait qu’à lui et qui nous manque de jour en jour davantage.
Michel Audiard est ce qu’on nomme curieusement « un enfant naturel ». Un naturel qui est toujours revenu au galop dans une vie singulièrement libre. Né le 15 mai 1920 à Paris, d’une mère auvergnate originaire du Puy et d’un père qui néglige de le reconnaître, il sera recueilli par des oncles et des tantes. Élève de l’école communale du Moulin-Vert, à deux pas du parc Montsouris, dans le XIVe, il obtient son certificat d’études, après avoir été toujours le premier en rédaction et s’être révélé moins brillant en d’autres matières.
Authentique fils du peuple, il sait faire marcher sa tête (opticien diplômé) et ses bras (soudeur qualifié). Ce gamin de Paris entre pourtant dans la vie professionnelle comme porteur de journaux à bicyclette. Il fait la tournée gare Saint-Lazare-boulevard Saint-Michel. On s’aperçoit vite qu’il a un aussi bon coup de plume que son coup de pédale et il entre comme reporter à L’Étoile du soir. Il commence sa carrière journalistique par un entretien parfaitement « bidon » avec Tchang Kaï Chek… C’est bien la première et la dernière fois que le vieux seigneur de la guerre chinois pourra faire rigoler les gens.
En 1949, alors qu’il va avoir trente ans et n’est encore connu que sur les vélodromes, les champs de courses et les petits journaux impécunieux, Audiard écrit les dialogues de son premier film, Mission à Tanger, réalisé par André Hunebelle. Il a mis le pied à l’étrier. Il va mener au grand galop son métier de dialoguiste jusqu’à sa mort, à soixante-cinq ans.
Sa silhouette est vite célèbre dans les milieux du cinéma : le visage en lame de couteau, un œil goguenard, l’autre plissé par la fumée d’une cigarette, bien calée au coin des lèvres minces. Sur la tête, une éternelle casquette pied de poule : « Je m’enrhume quand je ne porte pas de casquette, c’est la seule raison pour laquelle je porte une casquette, parce qu’avec le chapeau j’ai l’air un peu maquereau et le béret basque j’ai l’air d’un con… Je ne peux pas faire du vélo avec un casque à pointe ! »
Il va, de film en film, imposer sa langue, une langue populaire, truculente, imagée, mais qui n’est pas de l’argot, idiome qu’il n’aime guère par son côté artificiel et son manque de naturel quotidien : « Je déteste l’argot : c’est un langage complètement inventé, complètement littéraire. Je n’ai jamais entendu un voyou parler argot ! C’est un langage qui n’existe nulle part, ce qui n’empêche pas qu’à lire, ça peut être charmant (dans Simonin, par exemple, mais Simonin est un véritable écrivain). » Il choisit donc d’employer des expressions populaires. Et surtout d’en créer. Certaines de ses répliques deviendront vite des mots de passe.
Quelques-uns des films, où il a porté à une étourdissante prolixité verbale le cinéma parlant, sont devenus célèbres. Ainsi Les Tontons flingueurs en 1963 ou Les Barbouzes, l’année suivante. Sa grande réussite est de faire coller ses dialogues à ses personnages. D’où le rôle capital de quelques acteurs fétiches : Lino Ventura, Bernard Blier, Francis Blanche, Jean Lefebvre, Robert Dalban… Il atteindra au chef-d’oeuvre en adaptant l’inadaptable roman de Blondin : Un singe en hiver, où Jean Gabin et Jean-Paul Belmondo vont se surpasser. Car Audiard, dans ses grands moments, sait mêler comme pas un le tragique et le comique. La rencontre de ces deux hommes devient une déchirante histoire d’amitié virile et les larmes ne sont jamais loin du rire. C’est cela le grand art.
L’auteur de tant de films de distraction, parfois aux limites, éventuellement franchies, du vulgaire, se montrera aussi capable de s’attaquer à de grands sujets dramatiques. Ainsi, dans Espion lève-toi ou Garde à vue. Audiard n’était pas qu’un amuseur. Il avait le droit, comme tout le monde, d’avoir des opinions. La plus constante chez lui était l’aversion qu’il portait au général De Gaulle : « Je suis un vétéran de l’antigaullisme depuis le 18 juin 1940 », disait-il. En voilà au moins un qui n’avait pas attendu vingt ans et l’Algérie pour se défier du Général.
« Ce qui était dangereux sous l’Occupation, dit-il, c’était pas d’être derrière un micro à Londres, c’était d’écouter Radio-Londres à Paris. Faut pas confondre… Je me refuse à entendre dire que la France était résistante ou collabo. Y a un truc qui est vrai, c’est quand Pétain a signé l’armistice, tout le monde a dit Ouf ! C’est tout. » Il va s’indigner violemment des excès de l’épuration, le dire et l’écrire.
En 1973, il réalise un documentaire, dont il assure le scénario et le commentaire : Vive la France ! Ce sera un beau scandale, tant ce film consacré à l’Occupation et à la Libération dérange toutes les polices de la pensée. On ne peut dire qu’il soit tendre pour ses compatriotes : « Il n’y a pas eu dans toute l’Europe occupée, de citoyens plus enclins au “balançage” que les franzosichs. Délateurs, anonymographes faisant la queue dès potron-minet aux guichets des Kommandanturs, dénonçant les tapeurs de faux-tickets, les fraudeurs d’étoiles jaunes ou tout simplement le voisin de palier qui venait de recevoir du jambon d’Auvergne ou la petite blonde d’en face qui “ne voulait rien savoir”. Il paraît qu’à la fin, les Fritz ne décachetaient même plus les enveloppes. »
Dans le Figaro Magazine, le 21 juillet 1984, un an avant sa mort, il ose écrire à propos des cérémonies commémoratives de l’insurrection de Paris : « La France venait de passer de la défaite à la victoire, sans passer par la guerre. C’était génial. » Il y eut quelques lettres de lecteurs indignés par cette évidence. Parfait anar et fier de l’être, Audiard fut vite qualifié de dangereux droitier si ce n’est de fasciste. Il dut préciser : « Sans aller jusqu’à dire que je suis de droite, je ne suis en tout cas pas de gauche. Je ne peux pas supporter qu’on dise des conneries. C’est la gauche qui me rend de droite. L’intelligence, on ne peut le contester, est à droite. » Il n’a jamais manqué un bon mot. Ainsi ce jugement sur lui-même : « Vivant, je veux bien être modeste, mais mort, il me paraît naturel qu’on reconnaisse mon génie. »
Voilà qui est fait…
Principales œuvres
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Méfiez-vous des blondes (Le Fleuve Noir, 1950).
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Priez pour elles (Le Fleuve Noir, 1950).
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Massacre en dentelles (Le Fleuve Noir, 1952).
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Ne nous fâchons pas, avec Marcel Jullian (Plon, 1965).
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Le Terminus des prétentieux (Plon, 1966).
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Mon petit livre rouge (Press-Pocket, 1969).
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Vive la France, pamphlet (Julliard, 1973).
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Le Petit Cheval de retour (Julliard, 1975).
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Répète un peu ce que tu viens de dire (Julliard, 1975).
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La Nuit, le Jour et toutes les autres nuits (Denoël, 1978).
Le Chant du départ (Julliard, 2017). (Add.)
À consulter
- René Chateau présente : Audiard par Audiard (La mémoire du cinéma français, 1995)
Scénarios, réalisation ou dialogues
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Coffrets de DVD. (Add.)
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Mission à Tanger (1949).
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On n’aime qu’une fois (1949).
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Méfiez-vous des blondes (1950).
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Garou-Garou le passe-muraille (1950).
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Massacre en dentelles (1951).
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Une histoire d’amour (1951).
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L’Homme de ma vie (1951).
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Elle et moi (1952).
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Les Dents longues (1952).
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C’est arrivé à Paris (1952).
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Quai des blondes (1953).
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Les Trois Mousquetaires (1953).
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L’Ennemi public n°1 (1953).
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Sang et Lumière (1953).
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Poisson d’avril (1954).
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Série noire (1954).
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Les Gaietés de l’escadron (1954).
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Gas-oil (1955).
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La Bande à papa (1955).
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Mort en fraude (1956).
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Courte-tête (1956).
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Mannequins de Paris (1956).
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Le Sang à la tête (1956).
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Jusqu’au dernier (1956).
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Maigret tend un piège (1957).
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Retour de manivelle (1957).
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Le Rouge est mis (1957).
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Trois jours à vivre (1957).
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Les Misérables (1957).
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Les Grandes Familles (1958).
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Archimède le clochard (1958).
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Pourquoi viens-tu si tard ? (1958).
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Le Désordre et la nuit (1958).
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Péché de jeunesse (1959).
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125 rue Montmartre (1959).
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Les Yeux de l’amour (1959).
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Le Baron de l’Écluse (1959).
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Rue des prairies (1959).
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Babette s’en va-t-en guerre (1959).
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La Bête à l’affût (1959).
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Les Vieux de la vieille (1960).
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Un taxi pour Tobrouk (1960).
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La Française et l’amour. Sketch : L’adultère (1960).
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Le Bateau d’Émile / Le homard flambé (1961).
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Le Cave se rebiffe (1961).
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Le Président (1961).
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Les Lions sont lâchés (1961).
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Les Amours célèbres. Sketch : Les comédiennes (1961).
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Le Gentleman d’Epsom (1962).
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Un singe en hiver (1962).
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Le Diable et les dix commandements. Sketch : Bien d’autrui ne prendra (1962).
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Mélodie en sous-sol (1963).
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Carambolages (1963).
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Les Tontons flingueurs (1963).
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100000 dollars au soleil (1963).
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Des pissenlits par la racine (1963).
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La Chasse à l’homme (1964).
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Une souris chez les hommes / Un drôle de caïd (1964).
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Par un beau matin d’été (1964).
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Les Barbouzes (1964).
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La Métamorphose des cloportes (1965).
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Quand passent les faisans (1965).
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Les Bons Vivants (1965).
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Tendre voyou (1966).
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Un idiot à Paris (1966).
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Ne nous fâchons pas (1966).
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Sale temps pour les mouches / Commissaire San Antonio (1966).
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Fleur d’oseille (1967).
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Toutes folles de lui (1967).
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La Grande Sauterelle (1967).
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La Petite Vertu (1968).
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Le Pacha (1968).
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Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages (1968).
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Sous le signe du taureau (1969).
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Une veuve en or (1969).
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Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause (1970).
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Le Drapeau noir flotte sur la marmite (1971).
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Elle cause plus… elle flingue (1972).
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Vive la France, documentaire (1973).
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Comment réussir dans la vie quand on est con et pleurnichard (1973).
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Bons baisers à lundi (1974).
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Le Corps de mon ennemi (1975).
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L’Incorrigible (1976).
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Le Grand Escogriffe (1976).
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L’Animal (1977).
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Tendre poulet (1977).
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Mort d’un pourri (1977).
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Le Cavaleur (1978).
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Les Égouts du Paradis (1978).
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Flic ou Voyou (1978).
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On a volé la cuisse de Jupiter (1979).
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Le Guignolo (1979).
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L’Entourloupe (1979).
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Pile ou face (1980).
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Le Coucou (1980).
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Est-ce bien raisonnable ? (1981).
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Mortelle randonnée (1981).
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Espion lève-toi (1981).
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Garde à vue (1981).
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Le Professionnel (1981).
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Canicule (1982).
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Le Marginal (1983).
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Les Morfalous (1983).
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La Cage aux folles III (1985).
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On ne meurt que deux fois (1985).