Pierre Gaxotte

Jean Mabire, Que lire ? volume 4.

Chorégraphe de la droite convenable

A-t-on célé­bré, le 19 no­vembre 1995, le cente­naire de Pierre Gaxotte ? Il aurait été normal que Le Figaro ou Le Spectacle du monde, qui béné­fi­cièrent de sa colla­bo­ra­tion, rendissent un hommage feutré à cet immor­tel, un peu oublié comme tant de ses confrères académiciens.

Les épithètes viennent tout naturel­le­ment sous la plume : charmant, disert, brillant. Bref, tout ce qui confère une respec­ta­bi­lité de bon aloi. Et cela fait très longtemps – depuis le début de l’année 1940 et son départ de l’heb­do­ma­daire Je suis partout – qu’on ne pouvait lui repro­cher le moindre écart d’écri­ture. Que voici un person­nage rassu­rant ! Dans son confor­misme consen­suel, il fut le royaliste de bonne compa­gnie, dont la Répu­blique bicen­te­naire a toujours besoin pour prouver qu’elle est une brave fille, accueillante à défaut d’être accorte. Son ouvrage, assez impitoyable et fort bien ficelé, sur La Révo­lu­tion française s’est même naguère large­ment vendu en livre de poche. Est-ce remonter au déluge que d’évo­quer quand même un jeune norma­lien surdoué, reçu premier à l’agré­ga­tion d’his­toire, et devenu secré­taire de Charles Maurras à L’Action française durant l’autre guerre ? Après avoir été rédac­teur en chef de Candide, il guida longtemps sur une voie dange­reuse quelques jeunes journa­listes impru­dents, qui se nommaient Brasillach, Cousteau, Rebatet, Blond, Laubreaux et d’autres thuri­fé­raires du fascisme immense et rouge…

Quel dommage que Pierre Gaxotte se soit si vite arrêté dans la rédac­tion de ses mémoires ! Car ce fils du notaire de Revigny, dans la Meuse, possède incon­tes­ta­ble­ment ce qu’on nomme vulgai­re­ment « un beau brin de plume ». Certes, cette région lorraine du Barrois, qui tend à se confondre avec la Champa­gne, n’est pas la Provence de Pagnol. Mais tout paysage est à jamais trans­fi­guré par des regards d’enfant.

Mon village et moi, paru lorsque l’auteur avait déjà large­ment dépassé les soixan­te-dix ans, est un de ces livres que l’on peut quali­fier de merveilleux, tant ils évoquent les réali­tés d’un patri­moine aujourd’hui disparu ou peu s’en faut.

Voici donc un enfant qui découvre le monde avant d’être enfermé au lycée de Bar-le-­Duc. C’est un récit sautillant, assez discon­tinu, dissé­miné à travers une soixan­taine de tableau­tins bien venus. La copie mérite une bonne note. Intel­li­gence et sensi­bi­li­té. Au moins dix-sept sur vingt. Effort à poursuivre.

Ce sera seule­ment à quatre-­vingts ans qu’il va consentir à nous donner la suite de cette perpé­tuelle adoles­cence : Les Autres et moi.

Cette fois, le petit provin­cial est venu à Paris. Élève du lycée Henri-IV, il prépare, comme boursier, l’École normale supé­rieure. Il est brillam­ment reçu. Une tuber­cu­lose à éclipses – de celles qui font les cente­nai­res, ou presque – lui épargne de parti­ciper à la guerre de 14 où devaient mourir tant de garçons de sa génération.

Le hasard d’une rencontre fait de lui le secré­taire de Charles Maurras.

Reçu premier à l’agré­ga­tion d’his­toire et profes­seur au lycée d’Évreux pendant un an, il abandonne l’ensei­gne­ment pour le journa­lisme. Toujours par hasard à l’en croire. Le voici de nouveau à L’Action française. Secré­taire de rédac­tion, cette fois.

Cela nous vaut encore quelques portraits. On remarque celui de Jacques Bainville, auquel on a pu croire que Pierre Gaxotte allait succé­der, en appor­tant à l’entre­prise un ton de tonique fantai­sie, dont était assez dépourvu l’his­to­rien maison.

La protec­tion de l’édi­teur Athème Fayard le propulse à la tête d’un nouvel hebdo­ma­daire : Candide, un nom qui va assez bien à ce monar­chiste quelque peu voltai­rien. Ses mémoires s’arrêtent en 1924.

Il va avoir trente ans. Il ne nous en dira pas davan­tage. Heureu­se­ment, il existe d’autres témoi­gna­ges. Pendant près de dix ans, de décembre 1930 à janvier 1940, il va trans­former l’heb­do­ma­daire Je suis partout en une sorte d’organe officiel de ce qu’on peut nommer « le fascisme français ».

Cette très singu­lière gazette qui, à partir d’une sorte de coup d’État inté­rieur, en mai 1936, appar­tiendra à un véri­table « soviet » de rédac­teurs, va devenir une sorte de labora­toire idéo­lo­gi­que. On peut y suivre l’évo­lu­tion d’une poignée de journa­lis­tes, presque tous maurras­siens au départ, vers le rêve de quelque inter­na­tio­nale fasciste, qui les conduira à refuser la « Croisade des démo­cra­ties » à la veille d’une guerre qu’ils prévoient et estiment suicidaire.

Gaxotte ne fera vraiment pas grand-­chose pour calmer les jeunes esprits qu’il avait tant contri­bué à échauf­fer. Bien au contraire !

Ses cadets le nomment tour à tour « pape », « Führer » ou « caudillo », ce qui amuse beaucoup cet ancien norma­lien grand amateur de canular.

Brasillach en a laissé un bon portrait, dans Notre avant-guerre : « Je me conten­terai de dire qu’il faut avoir vu Pierre Gaxotte, ces années-­là, de son air de collé­gien malicieux, s’appro­cher de tout évé­ne­ment avec la méfiance d’un chat, en faire le tour, le toucher déli­ca­te­ment de la patte, et s’en revenir vers nous avec la tranquille assurance de celui qui a compris. Nous l’écou­tions comme une sorte d’oracle allègre et railleur. »

Rebatet confirme, dans Les Décombres : « Gaxotte inter­ve­nait quand il le fallait de sa voix tranquille, avec un léger défaut au bout de la langue, pour éclaircir une défi­ni­tion, redresser l’inter­pré­ta­tion un peu aventu­rée d’un évé­ne­ment ou d’un propos. Il était plus âgé que nous de huit ou dix ans, mais la chance voulait qu’il parut presque aussi jeune. Nous entou­rions, nous aimions et nous écou­tions comme un frère aîné plein de sagesse, investi de notre confiance aveugle, ce petit homme de santé fragile, mais à la pensée si ferme, ayant, avec ses yeux noirs brillants d’ironie et son nez retrous­sé, une physio­nomie de ce XVIIIe siècle où il semblait être né. »

De septembre 1938 à septembre 1939, Je suis partout mène une campagne pacifiste de plus en plus déses­pé­rée. Pierre Gaxotte commence à prendre ses distances avec l’équipe qu’il avait formée à son insolente école. Dès le début du conflit, il envisage de partir pour un séjour touris­tique aux Indes, bien loin de Paris !

À la fin du mois de janvier 1940, il décide d’aban­donner la direc­tion du journal qu’il animait. Lui qui avait écrit, en 1936, du temps du Front populaire : « Nous ne sommes pas des conser­va­teurs mais des révo­lu­tion­naires », prend une position que l’on nomme à l’époque « atten­tiste ».

Il ne sera en rien compromis désor­mais. En 1953, il entre à l’Aca­démie française et, en 1967, il est nommé conser­va­teur du musée de Chantilly, poursui­vant calme­ment ses travaux d’his­to­rien spécia­liste d’un Ancien Régime pour lequel il garde une préfé­rence avouée mais discrète.

Il compose, sous le titre Le Nouvel Ingénu, une habile petite critique du monde contem­po­rain, en se gardant de toute polémique.

Cet amateur de ballets dirige ses pas avec une sûreté de danseur venu de quelque autre planète et quitte défi­ni­ti­ve­ment la scène le 21 no­vembre 1982, deux jours après son quatre-­vingt-­sep­tième anniversaire.

Certains de ses propos de jeunesse n’ont pas vieilli : ainsi le peuple améri­cain n’est à ses yeux qu’un « ramassis d’émi­grants mal amalga­més sans autre conscience commune qu’une vanité puérile et un impé­ria­lisme de marchands de bretel­les. » Ou bien encore ceci, d’une criante actua­lité : « L’obser­va­teur impar­tial se demande quel est le pire : d’un minis­tère de droite qui fait les bêtises de la gauche, ou d’un minis­tère de gauche qui accré­dite les sottises que la droite adoptera ? » (8 oc­tobre 1932).

Principales œuvres