Xavier de Langlais

Jean Mabire, Que lire ? volume 4.

Au service de la « Matière de Bretagne »

Le 14 juin 1975, Xavier de Langlais appareillait pour « Tír na nÓg », ce pays de l’éter­nelle jeunesse, où les défunts d’une impé­ris­sable Celtie vivent à jamais dans la pléni­tude d’un rêve enfin accom­pli. À soixan­te-neuf ans, il avait derrière lui une belle desti­née, tout entière consa­crée à sa terre et à son peuple. Peu d’hommes ont servi avec autant de foi, de talent, d’effi­ca­cité et de courage une Bretagne qu’il voulait à l’image de sa vision conqué­rante. Peintre et « imagier », il fut un prodi­gieux illus­tra­teur, dont l’œuvre reflé­tait les visages divers d’un pays où les saints chré­tiens avaient pris sans rupture la relève des dieux, des héros et des fées. Il sut décorer de nombreuses églises sans jamais renier le secret des forêts et la fraî­cheur des sources.

Cet homme aux talents multiples – musicien, profes­seur, linguiste, cavalier, militant – fut aussi un écri­vain origi­nal, tant en breton qu’en français. Poète, drama­turge, roman­cier, il écrivit un singu­lier récit d’anti­ci­pa­tion : Enez ar Rod qu’il traduisit lui-même sous le titre de L’Île sous cloche. Il donna aussi, en une demi-­dou­zaine de volumes, une version très person­nelle du roman de la Table ronde et publia un essai qui fait encore autorité sur la technique de la peinture à l’huile de Van Eyck à nos jours. Nul plus que lui ne mérita davan­tage le quali­fi­catif d’homme de la Renaissance.

Peu de familles de la grande presqu’île d’Occi­dent peuvent se targuer d’une telle noblesse enraci­née. Xavier de Langlais, né à Sarzeau, dans le Morbi­han, le 30 avril 1906, se réclame du côté de son père des Langlais des Ouches, origi­naires de Matignon dans le Penthiè­vre, et du côté de sa mère des Huchet du Guermeur, de Quimper­lé. Il tient aussi aux Franche­ville, venus d’Écosse au milieu du XVe siècle.

Si les parents ont oublié la langue ances­trale, les grand­s-­pa­rents – des deux côtés – la pratiquent couramment.

Xavier n’a guère plus d’une dizaine d’années quand il s’enthou­siasme pour cette langue qu’il va parfai­te­ment maîtri­ser, jusqu’à devenir un des meilleurs écri­vains bretons de notre siècle. Pendant la guerre de 1914, son père mobilisé et sa mère obligée de se soigner en monta­gne, il passe de longues années, en compa­gnie de son frère aîné, loin du pays natal, à Argelès, dans les Pyrénées.

L’exil ne fera que forti­fier toutes les nostal­gies armori­caines qui vont donner à sa vision d’artiste son style si parti­cu­lier. Élève à l’école des Beaux-Arts de Nantes dès sa seizième année, il part à Paris poursuivre des études à la Sorbonne. Il profite de ses trajets en métro pour apprendre le breton litté­raire, quelque peu différent du breton dialectal de son enfance vannetaise.

Quand il doit choisir une carrière, il hésite un peu entre la musique et la peinture. Il délaisse finale­ment le violon­celle pour la palette et les pinceaux. Il se marie avec une compa­triote et s’ins­talle au manoir familial de Kohanno.

Père de quatre enfants, il doit travailler dur pour gagner sa vie comme peintre-­dé­co­ra­teur d’égli­ses. Passionné de techniques pictu­ra­les, il broie lui-même ses couleurs, les goûte (au point de s’en rendre malade), gâche lui-même le ciment de ses fresques… Il éprouve une véri­table hantise du « nombre d’or », se révé­lant, même dans ses sujets chré­tiens, quelque peu alchi­miste et écri­vait un remar­quable traité : Ene al linennou, c’est-à-­dire L’Âme des lignes.

Ses loisirs, il les emploie à parcourir le pays vanne­tais, pour recueillir chants et contes. Il parti­cipe aux travaux de la revue Gwalarn (Nord-Ouest) et publie, dès 1932, ses premiers vers en breton : Kanou en Noz (Chants dans la nuit), qu’il fera suivre de plusieurs pièces de théâtre et notam­ment Koroll ar Marv hag ar Vuhez (Danse de la vie et de la mort).

Son texte le plus connu est un étrange roman d’anti­ci­pa­tion, Enez ar Rod (« l’île de la roue »), qu’il traduira lui-même en français sous le nom de L’Île sous cloche.

L’argu­ment est simple : une tempête jette une jeune femme, Lianna, sur le rivage d’une île mysté­rieuse. Elle y découvre avec horreur un monde tout entier dominé par une utopie scien­ti­fique poussant jusqu’à ses plus folles consé­quences les trouvailles de la géné­ti­que. Avec un bon demi-­siècle d’avance, celui qui a celtisé son patro­nyme en « Langleiz » imagine ce que les labora­toires peuvent aujourd’hui fabri­quer des humains artifi­ciels tenant à la fois du monstre et du robot. Dans une ambiance totale­ment oniri­que, où un fantas­tique surgi du fond des âges s’allie aux plus récentes décou­vertes du surréa­lisme, la jeune fille que les savants consi­dèrent comme « sauvage » vit un cauchemar qui se termine pourtant par la revanche du vieux dieu invaincu : le soleil !

C’est son retour qui clôt le livre et justifie le propos du roman­cier : « L’huma­nité est parvenue à la croisée des chemins ; deux voies s’ouvrent devant elle : celle de je ne sais quelle pseudo-s­cience inhumaine, qui nous condui­rait tout droit à la dispa­ri­tion de l’espèce, celle infinie de l’Amour. »

Illus­tra­teur et écri­vain, Langlais est aussi un militant très engagé dans l’action bretonne, compa­gnon de route des natio­na­listes de Breiz Atao. Pour sa part, il sert à la place qui est la sienne dans l’Unvaniezh ar Seizh Breur, ce groupe des « Sept frères » qui regroupe quelques uns des meilleurs artistes d’Armo­ri­que, hommes et femmes pareille­ment hantés par les motifs tradi­tion­nels. Il précise ses idées dans des articles très engagés : « L’uni­ver­sa­lisme en art est une duperie… Le seul moyen d’atteindre l’uni­ver­sel, c’est d’être réso­lu­ment soi-même… Notre première préoc­cu­pa­tion sera donc de nous retrouver nous-­mê­mes, avec notre sensi­bi­lité de Celtes… Nous avons la chance, nous Bretons, de posséder deux sources merveilleuses d’ins­pi­ra­tion et de renou­vel­le­ment. D’un côté, du point de vue forma­tion spiri­tuelle : les trésors de la litté­ra­ture de langue et d’ins­pi­ra­tion celti­ques, des Mabinogion à Tristan. D’un autre côté, comme appui plastique à la pensée, un art populaire d’une invrai­sem­blable richesse, un art au premier stade de son évolu­tion, riche de toutes les possi­bi­li­tés d’ave­nir, un folklore à l’état jaillis­sant. Notre ensei­gne­ment saura choisir d’aban­donner à d’autres l’étang d’eau morte (la latini­té) pour se tourner vers la source !

Ami de l’abbé Perrot, il parti­cipe aux activi­tés du Bleun Brug, inter­prète lui-même des drames histo­riques et réalise, en 1944, le plus beau portrait du prêtre-­mar­tyr, dont il parta­geait totale­ment l’idéal Feiz ha Breizh (Foi et Bretagne).

Journa­liste et illus­tra­teur, il marque ainsi de son style personnel le combat culturel qui précède, justifie et prolonge un combat politique qu’il ne reniera jamais.

Bien que lui-même suspect, au temps de l’épu­ra­tion, il n’hé­si­tera pas à témoi­gner à décharge lors du procès intenté au grand linguiste Roparz Hémon et à aider son ami Yann Foué­ré, alors clandes­tin, à gagner l’Irlande. Il sera, au lende­main de la guerre, la grande conscience de ses compa­triotes réduits au silence.

Profes­seur à l’école des Beaux-Arts de Rennes pendant un quart de siècle, il écrit – en breton comme en français – des traités fort savants de technique pictu­rale, dont l’un sera traduit en japonais…

Yann Bouëssel du Bourg, qui a consa­cré à son souvenir un superbe petit livre, définit ainsi l’esprit de sa vie et de son œuvre : « Senti­ment profond de l’unité organique du monde maté­riel et du monde spiri­tuel, celui des astres et celui des anges, celui de la religion, de la terre et de la race. »

Tout, chez lui, était hymne à la nature et à la création.

Principales œuvres

à consulter