Aller au contenu principal

Albert Paraz Châtié pour « Célinisme »

Retour au sommaire du volume 4 des Que lire ?

Albert Paraz est curieusement absent de la plupart des histoires de la littérature française contemporaine et le Dictionnaire des auteurs de la collection « Bouquins » l’ignore. On ne passe pas sans scandale, en une dizaine d’années, d’une œuvre romanesque aux franges du surréalisme, à savoir Bitru, à ce qu’il faut bien appeler de la littérature populaire avec couvertures ornées de « pin-up » aux formes généreuses et aux couleurs criardes.

Là où Paraz a singulièrement aggravé son cas, c’est qu’il est resté indéfectiblement fidèle à ses idées anarchistes de jeunesse, refusant de renier sa vieille amitié avec Louis-Ferdinand Céline aux jours les plus brûlants de l’Épuration. Lui qui n’avait pas écrit une ligne favorable à la politique de collaboration pendant la guerre, devint, le conflit terminé, un adversaire résolu de la Résistance en général et du général De Gaulle en particulier.

Après avoir été le seul soldat gazé pendant la « drôle de guerre », tuberculeux au dernier degré, il traîna d’hôpital en sanatorium, sans rien perdre, bien au contraire, de sa truculence et d’un non-conformisme absolu. Il fut, en des temps difficiles, chroniqueur à Rivarol, dont il ne partageait certes pas toutes les opinions, mais où il dénonçait, avec une hargne salutaire, le rôle destructeur de la radio. Le règne de la télévision lui eut certes inspiré des chroniques vengeresses. Mais il est mort trop tôt, beaucoup trop tôt, laissant le souvenir d’un grand paillard vociférateur.

C’est un pied-noir de naissance, à Constantine, le 10 décembre 1899, mais d’une origine métropolitaine et provinciale qui continuera longtemps à le marquer. Son père, un gendarme, est savoyard comme l’indique son nom, et sa mère se réclame d’une origine catalane et surtout jurassienne.

La condition gendarmesque liera la famille Paraz à la famille Juin, d’où une perdurante amitié d’enfance avec le futur maréchal de France et un écrivain qui apparaît, aux yeux des bien-pensants, comme le type même du scandaleux et du réprouvé.

Son pandore de père quittera d’ailleurs assez rapidement le métier des armes pour terminer sa carrière comme concierge à Neuilly et Albert deviendra un brillant élève de l’École de physique et chimie industrielle de Paris.

Mobilisé en 1918, trop peu de temps pour connaître la guerre, il renonce vite à une carrière d’ingénieur pour découvrir la vie de bohème à Montmartre ou à Montparnasse. Il exerce alors les petits métiers les plus incroyables : fakir, détective privé, revendeur de champignons, figurant de cinéma, représentant de commerce et même homme-lion dans une boîte de nuit.

En compagnie de rapins et de ratés, il se frotte aux milieux surréalistes et anarchistes. Il a sans doute été un des premiers adhérents du jeune Parti communiste et plus certainement un de ses premiers exclus… dès 1920.

Il ne saurait accepter aucun embrigadement et se veut libertaire et libertin, avec une mâle assurance qui vaut à ce grand gaillard aux cheveux blonds et aux yeux bleus une impressionnante collection de succès féminins.

C’est sans doute dès 1934 qu’il rencontre un certain docteur Destouches qui vient de signer, sous le nom de Louis-Ferdinand Céline, chez l’éditeur Denoël, le roman non pas de l’année — il n’aura pas le prix Goncourt — mais du siècle : Voyage au bout de la nuit.

Paraz devient célinien, pour le meilleur et pour le pire. À jamais. Pourtant, à l’inverse de tant d’autres, il ne va pas tenter de démarquer le style de son idole, mais au contraire de créer sa propre petite musique. Grasset et Gallimard lui refusent, en 1936, le manuscrit de son premier roman, Bitru. Mais Denoël lui donne sa chance.

C’est un récit déconcertant, assez marqué bien entendu par ses expériences personnelles, mais aussi par le climat des années folles. Dans cet itinéraire d’un singulier personnage, de 1925 à 1935, on peut découvrir, en arrière-plan, l’aventure de toute une génération, façonnée par le plaisir comme par la crise. Le sous-titre, « Les vertus capitales » (qui sont péchés pour d’autres) introduit d’ailleurs une suite, intitulée « Les repues franches », qui paraîtra en 1937, avec pour arrière-plan, le Front populaire.

Bitru, c’est un beau et vrai roman, qui semble hésiter entre le genre naturaliste et le genre fantastique.

Ce qui nous touche encore aujourd’hui est l’attitude politique du héros de cette histoire échevelée : « Avec ces racines dans la terre et dans le temps, je devrais aimer les gens de droite. Leurs injures au petit peuple républicain me sont insupportables. Et puis, ceux comme moi, qui n’ont rien à conserver, ne peuvent être conservateurs. C’est une grande faiblesse que de défendre un ordre imparfait. Mais les troupeaux conformistes de gauche m’inquiètent par leur inertie. Quand je me révolte, je les dépasse trop. Leur masse pesante est un obstacle à la révolution qu’il m’arrive de rêver, qui disperse et balaie communistes autant que modérés. 89 a tout de même conduit à Joseph Prudhomme. Il faut nous épargner ça. »

Paraz partage la réaction instinctive de Bitru : « bourgeois » restait pour lui la grande injure. Il rêve des « grands dieux solaires et préchrétiens » et croit à sa « patrie européenne, si belle, si convoitée, si menacée, et d’abord par ses déchirements ».

Singulières idées pour un écrivain qui côtoie, avec Léo Malet, le groupe de la FIARI (Fédération internationale pour un art révolutionnaire indépendant). Cet anarchiste qui se situe « à la droite des royalistes et à la gauche des communistes » a fixé une fois pour toutes sa ligne de conduite : « L’infâme, ce n’est pas le fasciste ou l’antifasciste, c’est le ministre, le mouchard et le flic. »

Mobilisé en 1939, il est envoyé au centre de recherches de Béni-Ounif au Sahara, où il est accidentellement gazé. Il sera réformé à 100% et tirera de cette aventure un roman admirable qui paraîtra au lendemain de la guerre : Le Lac des songes.

Il a échappé à l’Occupation en résidant à Monte-Carlo, où il joue au casino, fait une cure de cinéma et écrit des poèmes, des traductions, un roman, des nouvelles. Il travaille un peu pour la radio et s’attaque à une adaptation de Bitru portée à l’écran en 1946 sous le titre L’Arche de Noé et complètement ratée, malgré l’intervention de Jacques Prévert.

Depuis 1944, Paraz, rendu tuberculeux par sa mésaventure saharienne, traîne de sanatorium en hôpital et de maison de santé en sanatorium, dont celui de Vence où il finira sa vie le 2 septembre 1957, à moins de soixante ans, complètement rongé par le mal qui dévorait ses poumons gazés.

Il a fait scandale avec la publication, sous le titre Le Gala des vaches, de son journal, commencé en 1947 à l’Hôtel-Dieu et dans lequel il publie plus de quarante lettres de son ami Céline, alors en exil au Danemark.

Sa prise de position tonitruante en faveur de l’auteur des Beaux draps lui vaut une mise à l’index définitive dans le monde littéraire et médiatique. Ses deux romans Remous et Vertiges sont passés sous silence.

Alors, il s’enferme dans une position de rupture et de défi. En 1950, il donne une suite au Gala avec Valsez, saucisses, préface le livre de Rassinier, Le Mensonge d’Ulysse, inaugure une chronique de radio dans Rivarol et obtient ce qu’il nomme plaisamment le prix de la Cour d’appel : 900 000 francs d’amende et huit jours de prison.

En 1952, il commence une série de romans noirs (Une fille du tonnerre, L’Adorable Métisse, Petrouchka, Sainte-Marie de la forêt, Villa grand siècle, Schproum à Casa).

Juste avant de mourir, il se montrera une fois encore fidèle à son vieux pote Céline, en publiant dans Défense de l’Occident un article consacré à D’un château l’autre. Il avait commencé son aventure avec André Breton. Il la terminait avec Maurice Bardèche.

Il pouvait pourtant se vanter de ne s’être jamais renié.

Jean Mabire.