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Alphonse de Châteaubriant Dans le camp des maudits

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Sans aucun lien de parenté avec le grand écrivain malouin et voyant son patronyme se terminer par un t et non par un d comme François-René, Alphonse de Châteaubriant n’en partage pas moins avec l’auteur des Mémoires d’outre-tombe cette singularité éclairante d’appartenir au peuple breton dont, à défaut de la langue de l’Extrême-Occident, il a illustré plus d’un aspect, à commencer par une véritable immersion mystique dans la nature et le divin, un esprit des forêts qui s’épanouit en Brocétiande et un attrait des rivages qui le fit voyageur, même s’il tourna le dos à l’Océan pour pèleriner vers le cœur même d’un continent qu’il aima d’un dangereux amour. D’avoir dirigé l’hebdomadaire La Gerbe pendant l’Occupation a fait de lui un réprouvé. Être classé à jamais dans le camp des maudits, loin de lui conférer un aspect démodé, que justifierait sa trajectoire dans le monde des lettres, le rend, au contraire, étrangement présent, dans sa quête jamais achevée vers quelque Graal interdit.

Né le 25 mars 1877 à La Prévalaye, en Haute-Bretagne, non loin de Rennes, Alphonse René Marie de Brédenbec de Châteaubriant appartient, par toute son hérédité, à cette petite aristocratie terrienne des pays d’Ouest dont l’âme, d’une pureté qui confine parfois à la naïveté, scintille sans cesse au gré des averses et des éclaircies, toute émue au moindre signe du ciel.

Tout jeune, il franchit la Loire pour passer son enfance dans le bocage vendéen. Il y trouve la présence vivante d’une tradition à la fois chrétienne et royaliste qui devait le marquer, sans pour autant constituer son seul horizon, car il fut aussi, par plus d’un trait, panthéiste et révolutionnaire

Pourtant, la politique ne l’intéresse en rien. Son père est musicien, son grand-père était peintre, toute la famille vit dans une ambiance artistique, assez naturellement exaltée. Le jeune Alphonse comprend très vite qu’il n’est pas d’un tempérament à faire les choses à moitié. Lui, ce qui le tente, c’est l’écriture. Dans les premières années du siècle, il s’essaye à quelques poèmes et nouvelles. Il se lance ensuite dans un grand roman qui paraît en 1911 : Monsieur des Lourdines. Le Prix Goncourt révèle ce provincial inconnu, très peu homme de lettres.

Son héros est un gentilhomme campagnard du siècle dernier. Ruiné par son fils, il fait appel, pour « récupérer » l’enfant prodigue, aux accents de son violon et aux murmures de la forêt. Jamais les forces telluriques n’ont été encore ainsi exaltées avec une sombre violence, qui n’est que trop-plein de tendresse et de ferveur.

Chantre de la solitude des marais et des bois, Châteaubriant n’a qu’un seul véritable ami, Romain Rolland. Ce compagnonnage de qualité ne se démentira jamais, même quand l’un comme l’autre se seront donnés aux passions ennemies les plus extrêmes de leur temps.

L’épreuve de la guerre de 14 — il a alors déjà trente-sept ans — mûrit étrangement le hobereau provincial. Il voit, dans le conflit fratricide qui déchire l’Europe, la mort des vieilles théories à la mode, qui prétendaient soumettre l’esprit à la raison et le sentiment à l’intelligence. Curieusement, plus il s’éloigne du Dieu des dogmes et des églises, plus Châteaubriant devient croyant. Il est, à jamais, un « chercheur de foi », comme ces mystiques germaniques qu’il devait un jour découvrir avec tant de fraternité. La paix revenue, il continue à écrire, avec une lenteur paysanne. La Brière, qui date de 1923, est un roman rural où le paysage finit par l’emporter sur les personnages. La terre et l’eau s’y trouvent étroitement mêlées dans une atmosphère de tenaces brouillards, où un garde-chasse incarne l’esprit de liberté jusqu’à l’intolérance et au meurtre.

Le refus du monde moderne, en qui Châteaubriant voit le grand destructeur de tout enracinement et de toute tradition, va le conduire à publier en 1933 un des plus insolites essais de cette époque de l’entre-deux-guerres : La Réponse du Seigneur. Ce n’est plus un vrai roman, mais la recherche d’une route, toute entière éclairée par une nouvelle conception du monde et de la vie. Il est peu de médiation aussi romantique et aussi exaltante que celle où il décrit la gravure de Dürer : Le Chevalier, la Mort et le Diable.

Parti des rivages atlantiques où agonise le soleil, ce druide errant va découvrir le « nouvel homme » de notre temps de l’autre côté du Rhin. Un voyage en Allemagne nationale-socialiste le bouleverse. Il fait paraître en 1937, chez Grasset, La Gerbe des forces, qui fait scandale. Il se voit accusé de trahison et surtout de délire.

Un seul exemple de sa prose enflammée : « Si Hitler a une main qui salue, qui s’étend vers les masses de la façon que l’on sait, son autre main, dans l’invisible, ne cesse d’étreindre fidèlement la main de Celui qui s’appelle Dieu. »

Totalement envoûté par son pèlerinage au cœur du IIIe Reich, dont il voit le symbole dans le visage même du chevalier de pierre de la cathédrale de Bamberg, Châteaubriant ne peut que se lancer en 1940 dans une action qui sera pour lui plus « religieuse » que « politique ». Il fonde le groupe « Collaboration » et dirige l’hebdomadaire La Gerbe. Désormais, le vieux Celte à barbe de fleuve s’exhibe sur les estrades, signe des manifestes et multiplie les proclamations. Égaré dans un univers de haine et de sang, il veut encore écouter le chant des oiseaux à travers l’Europe des massacres et des décombres. Dans le petit monde de la Collaboration, il reste fidèle à son personnage d’original mystique.

En 1944, il parvient à gagner le Tyrol où il meurt dans la clandestinité, à Kitzbühel, le 2 mai 1951. Il y sera enterré sous le nom de professeur Wolf — le Loup !

Jean Mabire.