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André Breton Le grand inquisiteur

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Celui qui fut nommé « le pape du Surréalisme » en fut surtout le grand inquisiteur. Son caractère tranchant et péremptoire devait éloigner de ce mouvement littéraire la plupart de ses adeptes. Certains le tiennent pour le plus grand écrivain de ce siècle et d’autres pour un génial imposteur. Il ne fut sans doute qu’un vieux jeune homme assez doué qui avait compris le premier les vertus du tapage et de la publicité. À l’heure où l’art « décadent » fin de siècle revient curieusement à la mode, c’est la pseudo-révolution surréaliste qui apparaît comme singulièrement démodée. À force d’excommunier ses compagnons de route, le roi Breton s’est retrouvé nu et seul. De tant d’orgueil et de tant de vacarme, il ne reste finalement que la trace fulgurante d’un grand destin manqué.

Parce qu’il est né à Tinchebray (Orne), au cœur d’un pays cher au La Varende de Nez-de-cuir, je me suis cru obligé de considérer André Breton comme un compatriote, tout en m’étonnant que sa forme d’esprit fût si étrangère à notre tempérament. Me voici rassuré depuis peu : il est Lorrain par son père et Breton par sa mère. Que ces deux peuples, par ailleurs fort honorables, s’en satisfassent, cela est leur problème mais plus le nôtre. Ouf !

Il naît, fils d’un gendarme à pied, le 19 février 1896, Normand donc, par le seul hasard d’une garnison de la maréchaussée. Quand il a deux ans, la famille quitte la Normandie pour Pantin, où il grandira dans le milieu familial de la petite bourgeoisie de banlieue : tout ce qu’il va détester plus tard !

En 1916, artilleur vite devenu infirmier, il prend conscience de la misère des garçons de sa génération.

N’ayant connu de la grande tuerie que l’envers du décor, il peut se consacrer à loisir à sa folie : la littérature, et plus spécialement la poésie.

Il a fait dans sa jeunesse deux bonnes rencontres, celle de Paul Valéry et celle de Guillaume Apollinaire. Son engouement pour le mouvement Dada de Tristan Tzara, iconoclaste partisan de la remise en question de toutes les valeurs, sera infiniment plus catastrophique. Il y a chez Breton du provincial qui se laisse éblouir par les bonimenteurs, avant de devenir à son tour marchand de vent.

Dès 1919, il fonde la revue Littérature, en compagnie de Philippe Soupault et de Louis Aragon, un jeune médecin militaire que son adhésion obstinée au parti communiste n’empêchera pas d’être un bon artisan des lettres françaises. Breton, dont les premiers poèmes se présentent sous un titre singulier : Les Champs magnétiques, se passionne pour ce qu’il nomme l’écriture automatique. Il va alors se laisser influencer par le freudisme, comme il le sera par le marxisme. Naïf qui se croit roué, il apparaît comme le symbole même du conformisme de l’anti-conformisme, soi-disant en avance sur son temps et pourtant voué à devenir rapidement un vieux gamin attaché à un système littéraire hermétique et radoteur.

Tout cela dans un grand fracas de prises de position tonitruantes, bien dans le goût d’une époque qui est en train de découvrir ce que l’on nomme « la réclame ».

Un premier Manifeste du Surréalisme, paru en 1924, trouve son expression dans une revue : La Révolution surréaliste.

Révolution ! Le mot est lancé qui doit faire place nette, en sapant les bases du conservatisme et de la tradition. Pourtant, le mouvement s’enlise dans des querelles de personnes qui vont peu à peu stériliser le grand espoir qu’avait pu faire naître au lendemain de la guerre ce réveil de l’inconscient. La brouille de Breton avec Paul Éluard est révélatrice de son caractère impossible. Et plus encore, celle avec Antonin Artaud, le pauvre, le grand, le seul écrivain vraiment génial et vraiment maudit de la bande.

Rédacteur de proclamations qui ressemblent à des bulles pontificales, fondateur de revues éphémères, amateur d’art primitif ou délirant, ce chantre de l’irrationnel reste au centre d’une entreprise qui devait révolutionner la littérature et libérer l’humanité et va se réduire à l’auto-satisfaction la plus pointilleuse et la plus excommunicatoire.

Ce maniaque de l’explication et de la rupture a quand même trouvé le temps de beaucoup écrire. On retiendra de lui les poèmes du Revolver à cheveux blancs, ou la prose des Pas perdus, de Nadja ou des Vases communicants.

En 1938, passant du stalinisme au trotskisme, ce qui est une manière de toujours rester communiste, il va au Mexique rendre visite à l’ancien chef de l’Armée rouge devenu sur le tard le prophète de la IVe Internationale. Quand il revient en France, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, il ne représente que lui-même, c’est-à-dire finalement, pas grand-chose pour la nouvelle génération de gauche, qui lui préfère Sartre et Camus.

Il s’enferme alors dans une solitude hautaine de souverain déchu, jusqu’à sa mort, le 28 septembre 1966, après s’être fait une belle réputation de collectionneur d’objets singuliers.

Dans ce bric-à-brac, baptisé « musée personnel », on trouve incontestablement de quoi organiser une exposition d’envergure pour qui aime l’art dit contemporain : plus de cinq cents œuvres ont été ainsi réunies à Beaubourg.

Pour quelques jours ou pour quelques semaines — avant le centenaire de 1996 — André Breton va devenir à la mode. On pourra peut-être réaliser que le surréalisme reste plus original que son fondateur et que le poète de L’Amour fou fut à la fois un incontestable éveilleur et un redoutable emmerdeur.

Maintenant, si l’on veut comprendre quelque chose à cette ambitieuse et pitoyable histoire, il n’est que de relire les Trois lettres aux surréalistes, de Drieu La Rochelle, dans le recueil posthume : Sur les écrivains (Gallimard, 1964), et qui furent en leur temps publiées avec la complicité d’Emmanuel Berl dans Les Derniers Jours. Tout y est

Jean Mabire.