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André Chamson Un éternel « protestant »

Retour au sommaire du volume 4 des Que lire ?

Il y a une quinzaine d’années qu’il est mort, en 1983, et il n’occupe déjà plus dans la Cité la place qui lui reviendrait de droit. Il est vrai que l’on a trop tendance à garder de lui l’image d’un vieil homme austère, enfermé dans un univers de hautes fonctions et d’honneurs insignes.

Devenir une grande conscience morale de son temps finit toujours par nuire, ne serait-ce qu’à titre posthume, à la réputation d’un écrivain. Résistant authentique, haut fonctionnaire laborieux, académicien respectable, on oublie qu’il fut aussi un sportif accompli, alpiniste et cavalier. Homme de plein vent tout autant que de cabinet, il ne correspond pas à l’image qu’on peut se faire d’un grand serviteur de la République, fut-elle celle des lettres, où les caractères intransigeants sont peu acceptés.

André Chamson était parti, au lendemain de la Grande Guerre, pour devenir un écrivain « régionaliste » dans le meilleur sens du terme : rarement romans furent-ils aussi enracinés dans un terroir, en l’occurrence celui des fières et rudes Cévennes, murées dans leurs montagnes sombres et dans cette protestation qui leur venait du fond des siècles.

Romancier du sang et du sol, obstinément fidèle à son pays natal, il mit au service du Front populaire une sorte de foi étrange. Ce calvinisme, tout autant politique que religieux, devait conduire ce pacifiste à défendre ses idées les armes à la main, à l’image de ses turbulents ancêtres. Ce courage fut alors trop rare pour ne pas être à son honneur.

Quand André Chamson évoque sa lignée dans son essai autobiographique Devenir ce qu’on est, publié à l’approche de la soixantaine, il écrit : « On trouve des gens qui nous ressemblent dans les vallées des Gardons, sur les contreforts du Lozère et du mont Aigoual. Nous sommes sortis de ces hauts lieux et de cette foule anonyme et l’homme qu’on croise dans ces déserts, la hache à l’épaule ou l’aiguillon à la main, a toujours l’air d’être un peu de ma famille… Je suis de ce pays autant qu’on peut l’être. Les miens l’ont habité depuis toujours… Je suis hanté par ce problème des sources. »

Le futur écrivain naît en la dernière année du XIXe siècle, le 6 juin 1900, à Nîmes, mais tous ses ancêtres avaient été cultivateurs du côté d’Anduze. C’étaient de purs Cévenols, protestants depuis des générations. Une seule exception géographique, une grand-mère née aux confins du Languedoc et de la Camargue, mais elle aussi de religion réformée.

Il est encore tout enfant quand la famille s’installe dans la ville industrielle d’Alès. Il se souviendra surtout des vacances passées chez sa grand-mère, Sarah Aldebert, au Vigan. Là, il se sent « un petit seigneur de la montagne ».

La religion tient une grande place dans la formation de sa sensibilité. Chaque dimanche, il assiste à trois cultes : celui de la chapelle méthodiste, celui de l’église de tendance libérale et celui du grand temple de l’Église réformée.

Au Désert, avec sa grand-mère, il entend « chanter les psaumes sous les châtaigniers centenaires ». Si, plus tard, il perdra la foi, il n’en restera pas moins, par toutes ses fibres, un protestant, et même un protestataire.

Après la mort de son père, il « monte » à Paris pour préparer l’École des Chartes. Il est déclaré « bon pour le service armé », mais sa classe ne sera appelée qu’après l’armistice. Lors du transfert au Panthéon des cendres de Jaurès, il défile à côté de son camarade Jean Prévost. Un quart de siècle plus tard, le Normand et le Cévenol se retrouveront dans la Résistance.

Il passe sa thèse sous la direction de son compatriote et coreligionnaire Camille Jullian, le grand historien des Gaules. Il se lie à un petit groupe littéraire, qui prend le nom de « vorticistes », et épouse une Nîmoise, Lucie Mazauric, qui suivra une carrière parallèle à la sienne.

Car André Chamson ne sera pas seulement écrivain, président du Pen-Club international, mais aussi, et peut-être d’abord, fonctionnaire, et fonctionnaire de la Culture, comme on dirait aujourd’hui. Il sera notamment conservateur du Petit-Palais et directeur des Archives nationales. Personnage très officiel, il deviendra un des plus importants dignitaires de l’ordre de la Légion d’honneur : grand-croix.

L’image que l’on garde de lui ne doit pourtant pas faire oublier qu’il fut, à moins de vingt-cinq ans, l’auteur d’un superbe récit, Roux le bandit, qui évoque un objecteur de conscience de la Grande Guerre. C’est un hommage fulgurant à un homme de son terroir qui prend à la lettre le commandement « Tu ne tueras point ». Pourtant, ce chrétien reste « un primitif devant les forces naturelles ». On a rarement écrit plus belle évocation de son pays et des hommes de son pays.

C’est aussi l’exaltation de « l’un contre tous », du solitaire soumis à la seule loi de sa conscience.

Deux autres romans constitueront, avec celui-ci, ce qu’il va nommer sa Suite cévenole : Les Hommes de la route en 1927 et Le Crime des justes en 1928, auxquels on peut ajouter Histoires de Tabusse en 1930, un recueil de nouvelles.

Ces récits sont tellement enracinés, physiquement et moralement, en ses Cévennes ancestrales qu’on le nommera, un peu vite, auteur « régionaliste », Il s’en défendra : « Je ne connais pas d’homme “régional”, mais, en revanche, je sais que tout homme est toujours de quelque part. » Il se veut, en conséquence, romancier « de l’originel ».

On aurait envie de parler d’écrivain « tellurique ».

Chamson est un montagnard. Amoureux peut-être davantage de la Création que du Créateur, il sera toute sa vie à la quête des « hauts lieux ». Ce huguenot écrira même : « Je cherche partout le site de Delphes en me disant que c’est là que pourront descendre les dieux. »

Alpiniste, il est aussi cavalier, depuis son service dans l’artillerie à cheval. Il aime parcourir la Camargue, avec son ami le marquis de Baroncelli, animateur de la Nacioun gardiano. Il s’exprime aussi bien en langue d’oc qu’en français et exalte ce « bilinguisme ». Méditerranéen, il se situe dans la mouvance admirative du grand Mistral et polémique avec Maurras sur les interprétations modernes du félibrige.

Il apparaît, entre les deux guerres, comme un « Barrés de gauche », ce qui n’empêche pas Léon Daudet de batailler pour lui faire décerner un prix Goncourt qu’il n’aura jamais.

Sa religion ancestrale lui a enseigné cette parole de Wesley : « Le monde est ma paroisse. » Aussi se passionne-t-il pour la germanité des habitants de la haute vallée de l’Adige, sur lesquels il écrira en 1930, un court essai, Tyrol, très pro-allemand, mais qui sera un jour interdit par Adolf Hitler qui ne veut pas déplaire à son allié Mussolini !

Chamson se veut à la fois homme de tradition mais aussi homme de progrès. Il participe, en 1935, au Congrès des intellectuels pour la défense de la culture, préside à la fondation de l’hebdomadaire de gauche Vendredi et se montre un des plus actifs précurseurs du Front populaire en 1936. Il en a d’ailleurs une conception qui ressemble fort à celle de Marc Augier, le futur Saint-Loup, alors au cabinet de Léo Lagrange : « S’il me fallait donner un visage au Front populaire, ce serait celui d’un jeune homme bruni de soleil, aux muscles longs, habitué à la marche et aux morsures du ciel, à l’âme candide et pourtant sans naïveté, qui chante en marchant à côté d’autres jeunes hommes semblables à lui-même… », écrit-il.

À l’inverse de beaucoup de ses compagnons de gauche, il ne donnera pas dans la Collaboration mais sera, au contraire, un des piliers de la Résistance dans les Causses. On retrouvera cet ancien pacifiste sous l’uniforme de chef de bataillon dans la brigade d’Alsace-Lorraine d’André Malraux en 1944. Itinéraire qui fait de lui, officier FTP, un descendant singulier de ses ancêtres camisards et galériens pour la foi.

Jean Mabire.