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André Dhôtel Citoyen de la poésie

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L’homme qui est mort le 22 juillet 1991, à plus de quatre-vingt-dix ans, n’a jamais vraiment appartenu au monde littéraire, avec tout ce que cela suppose de complicité de la part des faiseurs de réputation et de conformisme de la part de ceux qui se soucient davantage de plaire aux critiques et aux échotiers qu’à leurs lecteurs. Il ne faut donc pas s’étonner que la « clientèle » (horrible terme) d’André Dhôtel soit relativement peu nombreuse, mais son admiration n’en est que plus exigeante et plus fervente. Leur initiateur a beau avoir écrit une trentaine de romans et une vingtaine d’ouvrages divers, contes, chroniques, récits, poèmes, rêveries, promenades, critiques, sans compter quelques pièces de théâtre, il n’a jamais été vraiment un auteur à la mode. C’est sans doute ce qui, aujourd’hui, le rend si précieux et même si nécessaire. Quelle ferveur chez ceux qu’il enchante ! Il a tenu une place plus grande qu’on ne croit, entre Vialatte et Jean Follain. On aurait tort d’en faire un écrivain « régionaliste ». Pourtant, il apparaît par toutes ses attaches sentimentales, comme un écrivain « populaire », artisan sans doute plutôt qu’artiste. Et qu’il soit lu des enfants est son honneur

On sait, parce qu’il l’a souvent répété, qu’André Dhôtel est né le 1er septembre 1900, à Attigny dans les Ardennes, et qu’il a passé son enfance à Autun, dans le Morvan, où il s’est toujours senti exilé. Cependant, il ne se veut pas un écrivain enraciné. Simplement, il est d’un pays et pas d’un autre.

Cela lui importe sans doute beaucoup, sans qu’il en fasse une théorie pour autant. On ne trouve jamais de parti-pris idéologique chez cet homme qui va pourtant avoir pour métier d’enseigner la philosophie, ce qui le promènera au cours de sa vie dans un certain nombre de sous-préfectures paisibles, de Provins à Valognes.

Riverain de l’Aisne, donc. Ni Champenois, ni surtout Wallon. Mais du Nord, de ce Nord au sens large qui n’est pas un département, mais tout un univers considéré comme étrange et même étranger par ceux qui n’en sont point. Septentrional de tempérament comme d’autres sont Méridionaux, André Dhôtel est un homme qui parle peu et lentement.

Il observe. Découvrir un champignon, converser avec les insectes et les poissons, connaître le nom des fleurs, tout cela devient chez lui, au fil des ans, une passion paisible, qui voisine fort bien avec une autre observation, narquoise et attendrie tout ensemble, celle des personnages qui l’entourent, à commencer par les hommes et les femmes de son pays.

Les choses et les gens prennent avec lui une dimension toute particulière et l’on devine assez vite que chaque individu comme chaque souvenir est unique et irremplaçable. Point de nostalgie d’ailleurs, mais de la curiosité. Pas un comme lui n’a élevé la flânerie au rang d’une vertu théologale.

Cet homme qui va beaucoup écrire n’est pas un écrivain comme tant d’autres, avides de renommée. Il ne choisira d’ailleurs pas des héros qui puissent produire grand effet. Il préfère « les êtres banalement aimés qui sont à découvrir toujours. »

Il aime les petites histoires, les « cancans », diraient ceux qui haïssent la province, comme si Paris n’était pas la ville la plus cancanière de l’Hexagone.

Hors de son petit pays natal, que son ancien élève Patrick Reumaux, qui reste son fidèle, nomme le « Dhôtelland », il se prend de passion pour la Grèce, seule terre qui ne lui soit pas étrangère, vieux Dorien voyageur, ébloui par le soleil, retrouvant dans les colonnes des temples l’élan vertical des arbres de sa forêt.

À part Campement, paru en 1930, ce sanglier solitaire musarde longtemps avant d’écrire, pendant la guerre, en 1943, largement quadragénaire, Le Village pathétique. L’ouvrage est publié chez Gallimard, à qui il donne un autre roman en 1945 : Les Rues dans l’aurore.

Dix ans plus tard, André Dhôtel connaît le succès avec un livre qu’il ne considère pas comme son meilleur, mais qui lui a valu d’innombrables amitiés : Le pays où l’on n’arrive jamais.

Cette recherche d’une contrée merveilleuse, où l’on peut voir quelque quête du Graal revécue par deux enfants éblouis, est incontestablement un enchantement, dans le sens brocéliandien du terme. L’Ardenne y devient aussi porteuse de mythe que la Bretagne. Cette longue errance juvénile peut être lue comme une leçon de sagesse. Mais on peut aussi se laisser emporter par le seul lyrisme d’un univers tout à la fois fantastique et quotidien. À une époque où triomphait le « roman noir », André Dhôtel a eu le courage et la naïveté d’écrire un « roman vert » dans toute la saveur du terme.

Rare romancier qui sait raconter une histoire sans cesser d’être poète, il nous donne, strictement mesurée, la densité des images : l’eau qui court, une cheminée qui fume, un bonhomme qui marche ou qui pêche.

Ceux qui ne le connaissent pas peuvent lire Les Chemins du long voyage, Le Ciel du faubourg, Le Maître de pension ou Le Train du matin. Il n’est pas certain qu’ils soient séduits par tant de modestie et tant d’indifférence à toute prétention : « Moi, je n’en ai pas d’idées. Ce qui m’intéresse, c’est le caractère épisodique d’un pays, ce sont les détails, et c’est à travers les détails qu’on se fraye un chemin… »

Il évoque très bien la nécessité de prendre son temps. Ce n’est certes pas dans le vent et Dhôtel est l’antidote de L’homme pressé de Morand.

Dans son recours aux forêts, cet Ardennais appartient finalement, sans en avoir l’air, à la grande race des rebelles. Il n’y a pas que la passion de l’entomologie qui le rapproche d’Ernst Jünger. Il a su mieux qu’un autre, sans invective, haïr profondément les temps modernes et les illusions du progrès.

On croyait ce professeur de philosophie fort vertueux. Alors qu’il est, finalement, espiègle.

Totalement inclassable, ce qui restera comme son plus grand titre de gloire, il n’a rien d’un sceptique. Il ne croyait pas à l’incroyance. Il vécut dans l’observation — et la familiarité — de Dieu, de ses saints et la Création, où les êtres comme les plantes et les choses possèdent une part de mystère et de surnaturel.

Jean Mabire.