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Antoine Blondin L’humour vagabond

Retour au sommaire du volume premier des Que lire ?

Ils étaient quatre jeunes gens désinvoltes et insolents à préfacer naguère le livre de leur aîné André Fraigneau : Roger Nimier, Jacques Laurent, Michel Déon et Antoine Blondin.

Nimier, toujours en avance, a trouvé la mort sur une autoroute en 1962. En entrant à l’Académie française, Laurent et Déon sont devenus « immortels ». Blondin restait seul Et voici qu’il vient de nous quitter à son tour, comme s’il ne pouvait plus attendre pour rejoindre Nimier, Fraigneau et leur éditeur à tous, Roland Laudenbach. Autour de leur Table Ronde, vont désormais siéger plus de morts que de vivants. On ne peut parler de cet éternel écolier facétieux que fut l’élève Blondin Antoine, sans évoquer ses camarades de classe et cette véritable hantise de l’amitié : pour lui, elle passait bien avant le sport, l’alcool ou l’écriture, moyens et non fins d’une vie dont la devise pourrait être « les copains d’abord ». Mais combien de ceux qui l’ont accompagné une dernière fois à Saint-Germain-des-Prés, sa paroisse, savent-ils qu’il fut aussi, au lendemain de la guerre, un jeune polémiste, courageux et redoutable ?

Antoine Blondin est un écrivain d’humeur et d’humour. Avoir pour ancêtre un berger, transhumant du Bourbonnais au Cantal, ne semble pas prédisposer à savoir sourire de soi-même, dans une sorte de gymnastique intellectuelle que l’on rencontre plus souvent sur les rives de la Tamise que sur les berges de la Seine. Quel autre que lui aurait osé dire : « Je ne suis pas un écrivain qui boit, je suis un buveur qui écrit » ?

Né le 11 avril 1922 d’une mère poétesse et d’un père ancien combattant de la Grande Guerre et antimilitariste, le jeune Antoine ne croyait connaître autre chose du monde que le chemin menant de la maison familiale du quai Voltaire au lycée Louis-le-Grand, où il était mauvais en tout, sauf en philo.

Le destin en décide autrement sous la forme de deux gardiens de la paix, futurs résistants à fourragère rouge, qui le prennent un soir par le collet et l’expédient en Allemagne, où sa classe d’âge est astreinte au STO, le Service du travail obligatoire. Il se retrouve dans un camp près de Vienne et découvre, avec l’exil et la misère, cette chaleur humaine qui va le marquer à jamais dans une époque qui ne cessera plus pour lui d’être glaciale.

À son retour, il se rend compte qu’il n’est pas fait pour l’enseignement, même si la particularité d’être bègue assure à ses élèves d’entendre deux fois le cours et de doubler ainsi leurs connaissances.

Son père se suicide, après avoir toute sa vie rêvé d’écrire un livre. Le surlendemain de sa mort, Antoine prend la plume, par une sorte de devoir filial plus que par vocation.

Ce premier livre, ce sera L’Europe buissonnière, publié en 1949. Si l’inspiration autobiographique est incontestable, la fantaisie, la désinvolture et la tendresse éclairent ce gros bouquin d’une lueur qui va le rendre fraternel à toute une génération. Il s’agit d’un roman picaresque et stendhalien qui retrace sur le mode ironique les pérégrinations du jeune Muguet par les routes d’un continent en folie. Les défauts d’un premier livre, écrit à la diable — on dirait à la hussarde — sont évidents, mais ce sont aussi des qualités où le ton compte plus que le style. Un goût que l’on peut ne pas partager pour les calembours caractérise déjà une forme d’esprit, dont il ne cessera jamais d’user et d’abuser.

Vite connu et reconnu par un clan, dont il va devenir le plus drôle des chefs de file, Blondin se lance avec l’inconscience des âmes pures dans le journalisme confidentiel mais séditieux. On lui doit, au début des années 50, les meilleurs articles d’un brûlot nommé La Dernière Lanterne et on le retrouve, dès les débuts de Rivarol, aux côtés de son complice Julien Guernec, alias François Brigneau. Ce sera une période étincelante où des jeunes gens en colère assurent la relève des aînés fusillés, embastillés, exilés.

Non que l’ancien » déporté du travail » soit devenu « collaborateur ». C’est seulement parce que ce camp a perdu la guerre qu'Antoine Blondin n’hésite pas à le rejoindre.

Son geste correspond à celui de l’écrivain qu’il admire sans doute le plus : Marcel Aymé.

Ce péché de jeunesse ne lui sera pas plus pardonné que la paire de claques qu’il administre un jour ou plutôt une nuit au pape de l’existentialisme, Jean-Paul Sartre lui-même.

Il ne reniera jamais son engagement, même s’il saura par la suite prendre des distances.

« Je suis arrivé maintenant à me trouver dans une situation admirable, car la droite croit que je suis de gauche, la gauche croit que je suis de droite » remarque-t-il peu avant sa mort.

Son vieux complice Roland Laudenbach lui extirpe pour la Table Ronde des romans qui le rendront célèbre, même si leur tirage reste assez modeste. Ainsi, Les Enfants du Bon Dieu en 1952, L’Humeur vagabonde en 1955, Un singe en hiver en 1959.

Il connaît enfin la célébrité grâce au film où triomphent Belmondo et Gabin, dans des rôles à leur démesure.

Son talent éclate dans les chroniques sportives de L’Équipe. Nul n’a mieux parlé que lui des matches de rugby ou du Tour de France cycliste.

Chroniqueur, il se fait aussi préfacier — il prétend avoir présenté quatre-vingt-dix-sept fois les livres des autres. Tout lui devient prétexte pour ne pas écrire lui-même. Son silence agace, puis inquiète. Enfin, paraît en 1970 son meilleur livre, Monsieur Jadis. C’est un cri déchirant de drôlerie et de tristesse.

Il faudra encore une demi-douzaine d’années pour réunir les nouvelles de Quat’saisons. Elles confirment qu’il est meilleur pour le cent mètres que pour le marathon. Puis il cesse pratiquement d’écrire. Il vit alors des prix littéraires qui couronnent « l’ensemble de son œuvre », se laissant pousser la barbe et forçant la note à défaut de la payer dans les bistrots de son quartier. Son humour se fait moins candide et plus grinçant. Plus que jamais il se montre hésitant, pudique, secret même, à jamais attristé par la mort de ses amis. Il écrit : « Je ne supporte pas le bruit d’une porte ou d’un cœur qui se ferme. »

Jean Mabire.