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Colette Femme de tous les temps

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Les constantes réimpressions de la plupart de ses œuvres en livre de poche prouvent à quel point la grande Colette reste un auteur populaire et surtout actuel Plus de quarante ans après sa disparition et alors qu’on pouvait la croire prisonnière d’une époque — la Belle Époque très précisément — elle continue à toucher d’innombrables lecteurs, même parmi les plus jeunes. Au fil des années, cette femme, qui fut en son temps une sorte d’anarchiste et de scandaleuse, est devenue l’un des écrivains français les plus classiques de notre siècle, grand officier de la Légion d’honneur ! Elle demeure parfaitement représentative d’un certain pays qui est le nôtre et dont elle incarne non les vertus — mot qu’elle n’aurait pas aimé — mais les valeurs, dans ce qu’elles ont de permanentes et de terriennes. Seule une femme pouvait sans doute maîtriser une œuvre aussi sensuelle sans jamais être vulgaire, aussi luxuriante sans jamais être maniérée et aussi riche de sagesse paysanne sans jamais paraître donner de conseils. C’est sans doute à son prodigieux appétit de vivre que cette grande dame doit cette belle santé dont elle a fait sa règle de conduite.

Qui a entendu, une fois, par la magie de la radio ou du cinéma, la voix de Colette, reste à jamais frappé de cet inimitable accent de terroir bourguignon dont elle ne sut — ou ne voulut — jamais se départir. Clouée par la maladie dans sa retraite ultime du parisien Palais-Royal, elle reste à jamais cette petite fille aux longs cheveux d’or et aux yeux très clairs (gris ? verts ? bleus ?) qui musarde sur les chemins de Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans l’Yonne, où elle naquit le 28 janvier 1873.

Celle qui fit, au début de ce siècle, les beaux jours et les folles nuits de Paris, restera toujours une provinciale, « Si par province on n’entend pas seulement un lieu, une région éloignée de la capitale, mais un esprit de caste, une pureté obligatoire des mœurs, l’orgueil d’habiter une demeure ancienne, honorée, close de partout, mais que l’on peut ouvrir à tout moment sur ses greniers aérés, son fenil empli, ses maîtres façonnés à l’usage et à la dignité de leur maison. »

Colette n’est pas un prénom, c’est le nom de famille de son père, un capitaine de zouaves, d’origine toulonnaise, qui a perdu une jambe en 1859 à la guerre d’Italie et doit se contenter d’un poste de percepteur de bourgade. Celle qui deviendra la célèbre Colette se prénomme Sidonie-Gabrielle, Sidonie comme sa mère, personnage central de son livre de souvenirs Sido, et à qui elle doit tant, à commencer par des recettes de jardinage ou de confitures et surtout une manière de se tenir droite.

Véritable « sauvageonne », la future Colette n’ira pas plus loin que le brevet élémentaire, obtenu à Auxerre en 1889.

Elle serait sans doute restée une petite bourgeoise de province, vouée à une existence paisible, sans son mariage, à vingt ans, avec ce curieux personnage qu’est Henry Gauthier-Villars, dit Willy, journaliste bambocheur et m’as-tu-vu, mais qui n’est dépourvu ni de drôlerie ni de savoir-faire. Il devine le « don » de sa très jeune femme et répartit les rôles : c’est Colette qui écrira et c’est lui qui signera. De cette collaboration, naît en 1900 Claudine à l’école, qui sera suivi dans les trois années suivantes de Claudine à Paris, puis de Claudine en ménage et de Claudine s’en va. Le succès est foudroyant et ne s’est pas démenti depuis le début de notre siècle.

Le dosage de naïveté et de rouerie est fort subtil : les messieurs qui aiment les « femmes-enfants » sont comblés. Rien de « cochon » dans ses aventures, mais seulement une sorte d’impudeur animale, qui va conférer à Colette une assez sulfureuse réputation. Le titre d’un de ses romans est révélateur : L’Ingénue libertine.

Elle croque à belles dents la pomme de la vie parisienne et se console des multiples infidélités de son « vieux » mari (il a quatorze ans de plus qu’elle) avec quelques hommes et beaucoup de femmes. L’échec de ce couple qui se veut « moderne » va la contraindre à gagner sa vie seule. Par le théâtre, d’abord, où elle s’impose plus par ses « effeuillages » que par une diction que l’accent du terroir entrave, par le journalisme, ensuite et surtout.

Se découvrant romancière, elle abandonne le nom de Willy pour celui de Colette Willy, avant de devenir Colette tout court.

Ce qui séduit ses lecteurs — et ses lectrices, car elle est à la fois écrivain pour messieurs et écrivain pour dames — c’est son extraordinaire sensualité, qui ne la porte pas seulement à l’érotisme, mais aussi à la gourmandise ou au vagabondage.

Divorcée en 1910, elle se remarie quelques mois plus tard avec le journaliste Henry de Jouvenel. Lui aussi est un tombeur infatigable. Colette se venge de son époux en lui donnant une fille, surnommée Bel-Gazou, et surtout en séduisant son beau-fils, Bertrand de Jouvenel, qui a trente ans de moins qu’elle. On retrouve des échos de cette aventure dans Le Blé en herbe, dont Claude Antant-Lara tirera un film.

Quand elle se sépare de son mari, en 1923, comme un adieu à son demi-siècle, certains la considèrent comme un des plus grands écrivains français de son époque. « Colette est, je crois, la seule personne à propos de qui j’ai parlé de génie —, écrit Montherlant.

Douze ans plus tard, son troisième mariage, avec Maurice Goudeket, termine dans la sérénité une vie sentimentale agitée.

Cet itinéraire pourrait rester d’ordre privé s’il n’éclairait l’incroyable fringale de l’ancienne écolière de Saint-Sauveur qui, plus encore que les hommes et les femmes, a sans doute aimé les fleurs, les bêtes, les fruits, la vie en un mot, avec une explosion joyeuse de tous les sens que la Nature (c’est-à-dire le capitaine et « Sido ») lui a donnés. Sans aucune prétention idéologique, elle respire un paganisme total et joyeux.

Elle meurt le 3 août 1954. L’Église, par la voix du cardinal Feltin, archevêque de Paris, lui refusera sans merci sa bénédiction. Elle repose sous une dalle sans croix.

Sa meilleure biographe, Geneviève Dormann, qui a écrit sur elle un beau livre fraternel (ou plus exactement sororal) conclut : « Nous la retrouverons toujours dans l’air iodé d’une plage bretonne d’où la mer se retire, la mélancolie somptueuse d’une rose de septembre, dans l’appétit joyeux qu’éveillent les huîtres fraîches ou la démarche élastique d’un jeune homme qui passe. Et le meilleur d’elle-même, l’impérissable, ses pages, nous accompagneront jusqu’au bout de la vie. »

Jean Mabire.