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Georges Blond La mer, l’Histoire, la vie

Retour au sommaire du volume 4 des Que lire ?

S’il est un écrivain qui possède « le bon profil » pour figurer dans la très populaire collection « Omnibus » des Presses de la Cité, c’est bien Georges Blond, dont on vient de publier, en un seul gros volume de près de mille pages, les cinq tomes de sa Grande Aventure des océans. Quand il évoque la Méditerranée, l’Atlantique, le Pacifique, l’océan Indien ou les mers froides, on devine vite qu’il s’agit d’un ancien officier de la Marchande qui a briqué dans sa jeunesse les Sept Mers du globe.

Mais ce marin devenu journaliste a connu d’autres aventures plus dangereuses et navigué sur des galères battant pavillon noir pendant la guerre, il a collaboré à Je suis partout et à La Gerbe, ce qui ne lui vaudra ni la corde ni les fers, mais l’obligation de poser quelque temps son sac à terre, avant de trouver un autre embarquement dans l’édition.

Grâce à son talent de conteur, assorti d’une belle culture encyclopédique, il va alors écrire des livres qui se classent parmi les meilleurs d’un genre pourtant difficile : le récit vrai, qui exige de conjuguer la rigueur de l’historien et le style du journaliste, si ce n’est du romancier. Depuis La Grande Aventure des baleines, il s’est passionné pour de multiples sujets, entraînant à sa suite d’innombrables lecteurs, avides de découvrir des continents inconnus. Quand il aborda la fiction, il s’y révéla un maître incontesté, habile à nouer des intrigues qui illustrent tout autant la navigation maritime que l’investigation policière.

Comme Édouard Peisson, son aîné de dix ans qui devait connaître une même carrière d’officier de marine marchande, puis d’écrivain populaire, Georges Blond est né à Marseille, où il voit le jour — et le soleil — le 11 juillet 1906.

Après avoir navigué quelques années comme jeune officier de pont, il est, lui aussi, victime de la grande crise de la fin des années vingt et doit débarquer. Le journalisme attire cet homme des grands horizons et des longues veilles. Il quitte la passerelle des cargos pour les salles de rédaction de la presse parisienne.

De 1930 à la déclaration de guerre, il sera la cheville ouvrière de l’hebdomadaire Candide, ce qui ne l’empêche pas, en 1936, de collaborer à L'Assaut, un des organes de choc de ceux qu on a appelés « les non-conformistes des années trente ».

Dès le printemps 1933, il a donné un premier article à Je suis partout et deviendra, pendant une dizaine d’années, un des piliers de cet organe des intellectuels fascistes ou du moins fascisants. Il va même interviewer Léon Degrelle à Bruxelles, en compagnie de Pierre-Antoine Cousteau et de Lucien Rebatet.

La guerre fait de lui un officier de la marine nationale, alors qu’il a déjà publié trois romans chez Fayard. Il arrive à Plymouth le 20 juin 1940, à bord du torpilleur Mistral. Fait prisonnier par des Anglais, baïonnette au canon, il refuse comme la majorité des marins, de rallier la France libre. Il réussit à gagner Londres, puis à s’embarquer sur un paquebot. Le navire est torpillé et le lieutenant de vaisseau Blond se retrouve dans un canot de sauvetage. Débarqué à nouveau en Angleterre, il refuse toujours de rejoindre les gaullistes. Enfermé dans un camp disciplinaire à Trentham-Park, il est dirigé sur Blackpool. Il sera enfin rapatrié sur un paquebot qui joint — en pleine guerre — Liverpool à Toulon, en passant par Gibraltar.

Il retrouve le sol de la patrie à la fin novembre 1940. Six mois plus tard, paraît le récit de cette insolite aventure : L’Angleterre en guerre. Il est dédié à son ami Robert Brasillach et à deux autres de ses camarades de Je suis partout. C’est un témoignage unique sur le dernier pays résistant encore à l’Allemagne, partout victorieuse en Europe.

Georges Blond n’y cache pas ses sentiments : « L’Angleterre est un monde fermé, aussi fermé qu’a été la Chine des empereurs. Rien de ce qui n’est pas anglais n’a, en Angleterre, la moindre valeur ni la moindre existence… Pour l’Angleterre, un cheveu du dernier des dockers de Londres a plus de valeur que la vie de tous les peuples qui ne sont pas britanniques… Voilà ce que m’a appris l’Angleterre en guerre.

Il ne juge pas. Il constate. Et son livre en est d’autant plus terrible. Publié chez Grasset, il va connaître un indéniable succès et sera traduit en allemand.

Le marin démobilisé devient alors critique littéraire à Je suis partout. Mais il reste plus sensible à la littérature qu’à la politique. Son article le plus engagé sera un compte-rendu de la visite des écrivains français à Weimar durant l’automne 1942.

Lors de la crise qui secoue l’hebdomadaire le plus en flèche de la presse collaborationniste à l’été 1943, il quitte le journal avec Brasillach et Poulain, ce qui lui vaudra de se faire traiter de « dégonflé » par les ultras que sont Rebatet, PAC ou Laubreaux. Pourtant, il reste, à sa manière, fidèle à ses idées et collabore, jusqu’en août 1944, à La Gerbe d’Alphonse de Chateaubriant, comme critique de cinéma.

Il a publié un autre livre, L'épopée silencieuse, à la gloire des marins français qui servirent à la mer en 39-40. C’est déjà l’amorce d’une nouvelle carrière, celle d’historien. Le livre se termine sur une exaltation du courage de l’homme triomphant des événements, même les plus contraires.

Lors de l’Épuration, Georges Blond s’en tire avec une condamnation à « l’indignité nationale » et doit renoncer au journalisme pour poursuivre ses activités dans l’édition. Dès 1949, il refait surface avec Le Survivant du Pacifique, que suivra Convois vers l’URSS. On vante sa compétence d’ancien officier de marine sur de tels sujets. Et puis il sait écrire. Ses récits de la guerre dans le Pacifique ou dans l’Arctique sont d’excellents reportages. Vifs, nerveux, bien mis en scène. Il possède la patte d’un écrivain. Dans le récit de guerre navale, il est même supérieur à Paul Chack qui, lui, a été fusillé en 1944.

Blond, qui s’en est bien mieux tiré, poursuit une carrière somme toute fort confortable. Cela n’empêche pas le talent. Ses deux livres sur Le Débarquement et L’Agonie de l’Allemagne, publiés au tout début des années cinquante sont remarquables de précision et d’allant.

Sans les moyens d’un Cornélius Ryan, il s’y affirme comme le grand maître français du reportage historique.

Le succès fait de lui un véritable historien. En témoigne L’Amiral Togo, samouraï de la mer et surtout un Verdun, qui sera tiré à trois cent mille exemplaires et que suit une évocation de La Marne.

Désormais, Blond devient un incontournable polygraphe, car sa curiosité n’a aucune limite. Il se passionne pour la Légion étrangère, la flibuste, la Grande Armée de Napoléon et se risque même à publier un Pétain. Tous ces bouquins sont voués à un immense succès auprès d’un public avide d’aventures vraies. Sa documentation, souvent assurée par son épouse Germaine Blond, est d’ailleurs aussi irréprochable que pittoresque.

Quand il publie La Grande Aventure des baleines, il ne se doute certes pas qu’il va devenir un de nos premiers écrivains écologistes. Il renouvellera le genre avec les éléphants, les phoques, les castors, les migrateurs...

C’est finalement un prodigieux touche-à-tout, capable d’exalter les anarchistes dans La Grande Armée du drapeau noir — un de ses meilleurs livres — aussi bien que Les enragés de Dieu.

Il poursuit en parallèle son œuvre de romancier. Trois de ses œuvres de fiction, Le jour se lève à l’Ouest, L’Île de la déesse et Mary Marner le placent parmi les meilleurs écrivains maritimes de notre siècle.

Quand il meurt, le 16 mars 1989, il a acquis une telle notoriété auprès du grand public que personne ne songerait à lui reprocher quelques engagements imprudents dans sa jeunesse. Il n’en a conservé qu’un goût très aigu pour l’aventure, le risque, le courage, qualités inséparables de cette littérature de l’action et du patrimoine, dont il apparaît, à titre posthume, comme le grand maître.

Jean Mabire.