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Jacques Benoist-Méchin Du Reich allemand au monde arabe

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Il est plus nécessaire que jamais de connaître l’œuvre immense d’un homme singulier qui a tout sacrifié de sa vie à une double passion : l’entente avec le monde germanique et l’alliance avec la nation arabe. S’il a réussi à traverser ce qu’il nommait « l’épreuve du temps », c’est que Jacques Benoist-Méchin a été un des rares Français à étudier les constantes de la vie des peuples et des empires. Aussi, cet homme, marqué par un destin tragique, reste bien plus actuel que la plupart de ses contemporains.

Né en la première année de notre siècle, le 1er juillet 1901, ce descendant d’un baron de Napoléon meurt le 24 février 1983, après avoir mené une triple carrière d’écrivain, d’homme d’État et d’historien. Passionné de littérature et de musique, mais hanté par la présence vivante de l’histoire, il aurait été sans nul doute un des augures de notre temps, sans un définitif « incident de parcours ».

Pourtant, de tous les personnages de ce qu’on nomme la Collaboration, cet ancien membre du gouvernement de Vichy, où il représentait, en compagnie de l’amiral Platon et de Paul Marion, la tendance la plus favorable à un accord total avec l’Allemagne, fut paradoxalement un de ceux dont la voix fut la moins étouffée à sa sortie de prison.

Il le doit certes à son intelligence, à ses intuitions, à sa liberté d’esprit. Mais sa « survie » intellectuelle tient aussi au fait qu’il passe, à tort ou à raison, pour un des initiateurs de la « politique arabe » de la France. D’où des amitiés — et des inimitiés — qui n’ont jamais respecté le clivage mensonger droite/gauche.

Ce jeune homme de bonne famille, joli garçon, familier de Marcel Proust et encouragé par Romain Rolland, journaliste aux allures de diplomate, veut vivre au rythme fiévreux de son temps. Il se fait offrir un poignard d’arditi par le poète D’Annunzio et rêve comme lui de conjuguer le rêve et l’action.

De son service militaire en occupation rhénane, de sa passion pour les guerriers et, il faut l’avouer d’une véritable fascination envers le mouvement national-socialiste et son Führer vont naître, à la veille de la guerre, les deux premiers volumes d’une Histoire de l’armée allemande qui le rendra célèbre. Il s’y révèle un maître d’analyse et de style, dont l’écriture apparaît comme possédée d’une véritable magie romantique qui parvient à gommer pas mal d’erreurs de détail. Benoist-Méchin est sans nul doute le contraire d’un universitaire pointilleux. C’est un poète et même un visionnaire, maniant comme nul autre le lyrisme et la lucidité.

Après la défaite, il livre dans La Moisson de quarante, ses réflexions d’ancien prisonnier de guerre, gagné depuis toujours à l’idée d’un accord profond entre la France et le Reich. Il ne cache certes pas son approbation de la rencontre Pétain-Hitler à Montoire. La réputation qui est la sienne outre-Rhin, où on le considère comme un ami exigeant mais sincère, conduit le Maréchal à le charger du secrétariat d’État aux rapports franco-allemands, de février 1941 à septembre 1942. Sur cette période dramatique, il écrira un livre capital : De la défaite au désastre, le désastre en question étant, pour lui, l’échec de la politique de collaboration.

Retiré du gouvernement, il n’en conserve pas moins des relations personnelles avec l’ambassadeur Otto Abetz et ses amitiés fort compromettantes, notamment avec Drieu et Céline, dont il partage les vues pessimistes, sans songer cependant à quitter le camp des futurs vaincus.

Condamné à mort et gracié — de justesse — en 1947, après soixante jours chaînes aux pieds, il est libéré en 1954. Il commence une sorte de « seconde carrière », sans pour autant renier ce qui a été la grande hantise de sa courte vie d’homme d’État.

Certes, il poursuit son Histoire de l’armée allemande, qui va comporter six tomes, mais s’arrêter, malheureusement, en 1939, et il publie les trois volumes de Soixante jours qui ébranlèrent l’Occident, sur la période du 10 mai au 10 juillet 1940, mais l’essentiel de son propos est désormais ailleurs.

C’est l’Orient qui le hante. Il se passionne pour Ibn Seoud « le léopard » (alors que Kémal Atatürk est « le loup ») et va rencontrer lors d’Un printemps arabe, paru voici une trentaine d’années, les principaux dirigeants d’un univers qui le fascine. La guerre d’Algérie le meurtrit profondément, sans ruiner pour autant les espoirs qu’il place alors dans un homme comme Nasser.

Ayant, une fois pour toutes, affirmé ses préférences géopolitiques dans le monde contemporain, il se tourne vers le passé. Sept biographies constituent un cycle capital, Le Rêve le plus long de l’Histoire, où l’on voit apparaître, tour à tour, Alexandre, Cléopâtre, Julien l’Apostat, l’empereur Frédéric de Hohenstaufen, Bonaparte en Égypte, le maréchal Lyautey et Lawrence d’Arabie. Chacun de ses personnages, tout autant qu’un héros historique, est aussi une projection de lui-même.

Il se tuera littéralement à cette tâche surhumaine et sera frappé d’une attaque le jour même où il livrera à son éditeur le manuscrit de son cher Frédéric, l’empereur germano-oriental, incarnation du Saint-Empire, mais excommunié par la papauté.

Jean Mabire.