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Jean de La Varende La fidélité à la terre

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La Bretagne de sa mère comme la Normandie de son père se montrent fidèles à celui qui fut fidélité et qui continue à régner sans partage sur des lecteurs éblouis par cette prose foisonnante. Le centenaire de sa naissance, en 1987, a bien marqué à quel point cet auteur singulier réunit encore de nombreux lecteurs qui se veulent, malgré la fuite du temps, ses féaux. Si la plupart des livres de Jean de La Varende sont encore disponibles chez ses principaux éditeurs, notamment Grasset et Flammarion, on est stupéfait de découvrir qu’il a été retiré du catalogue du Livre de Poche qui avait pourtant publié dix-sept de ses meilleurs titres. Quant au projet de rééditer sept ou huit de ses principaux livres dans une collection à bon marché sous reliure souple, il semble provisoirement abandonné. Pourtant, La Varende reste un auteur important, que l’on aurait bien tort de parquer dans l’étroit enclos du « régionalisme ».

Le 20 mai 1887, naît au château de Bonneville-Chamblac, au cœur du pays d’Ouche, Jean-Balthazar-Marie Mallard de La Varende. Son père, officier de marine a tenu à ce qu’il voie le jour en terre normande, dans la demeure familiale de ces aristocrates qui ont servi depuis des générations Dieu et le roi. Sa mère est la fille de l’amiral Fleuriot de Langle, un Breton, dont la famille s’enracine à Saint-Brieuc mais est surtout connue pour avoir briqué les flots des sept mers du globe.

Après la mort prématurée de son père, l’enfant vivra beaucoup en Bretagne. Il s’y sentira en exil et sera véritablement hanté par une Normandie que la privation le pousse à magnifier. Seul dérivatif à sa nostalgie, les histoires que raconte au petit Jean ébloui son amiral de grand-père. C’est décidé, l’enfant sera marin. Heureusement pour les lettres, sa mauvaise santé l’empêche de faire Navale. Faute d’embarquer à Brest sur le Borda, il s’inscrit à l’école des Beaux-Arts de Rennes. Il est d’instinct dessinateur et peintre, artisan peut-être plutôt qu’artiste.

Quand il s’agira de restaurer le château familial, il fera tous les métiers, jardinier d’abord, peintre bien sûr, menuisier, bricoleur en un mot, mais de grande classe. En témoignent ces trois cents navires en modèles réduits qu’il va sculpter de ses mains ouvrières.

Passionné d’histoire et d’histoires, il a engrangé depuis son enfance des récits sur sa lignée. Les nobles y voisinent avec les humbles. Tous sont des « manants », du beau verbe latin manere qui veut dire ceux qui restent au pays, quoiqu’il en coûte, qu’ils soient hobereaux ou paysans.

Gentilhomme qui vit sur ses terres et les fait valoir, selon la formule normande, La Varende écrit. Il écrit beaucoup. Dans son grenier où dorment ses maquettes de bateaux dans leurs prisons de verre, il tape contes et romans sur sa vieille Remington. Il songe alors plus à témoigner qu’à publier.

Des amis à qui il a montré ces récits nerveux, rédigés dans une langue somptueuse, enrichie souvent de savoureuses expressions rurales, le poussent à tenter sa chance. Pays d’Ouche, recueil de nouvelles, voit le jour chez Maugard à Rouen en 1934, quand il a quarante-sept ans. Le livre obtient le Prix des Vikings.

Plon le reprend à Paris. Un écrivain inconnu, un « provincial » qui a fait de l’enracinement sa raison de vivre, devient célèbre. Le superbe Nez-de-cuir est aussitôt un véritable triomphe. La Varende a assez engrangé pour produire, coup sur coup, ses meilleurs romans : Le Centaure de Dieu, Man'd’Arc, Le Roi d’Écosse, L’Homme aux gants de toile. Entre chacun de ces grands livres, animés d’un souffle puissant, un recueil de nouvelles : Contes sauvages, amers, fervents, Les Manants du roi, Heureux les humbles, Les Gentilshommes.

La Varende ne cache pas ses opinions. Il est royaliste et catholique. Sa fidélité au royaume de France n’empêche pas une ferveur bretonne et surtout une passion normande qui éclairent toute son œuvre.

Auteur reconnu, académicien Goncourt, il ne craint pas, au temps de Vichy, de collaborer à un livre rédigé par son ami Sacha Guitry : De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain. Tout un programme ! Il donne des textes non politiques à Je suis partout. Le voici catalogué « collabo », alors qu’il déteste les Teutons encore plus que le vieux Maurras. Après la guerre, il se met lui-même hors Goncourt, sans pour autant cesser de publier jusqu’à sa mort, le 8 juin 1959.

Profondément traumatisé par le massacre de quarante mille de ses compatriotes et le saccage de la plupart des hauts-lieux de sa Normandie durant l’été 1944, il publie, en 1946, la plus singulière des évocations historiques : Guillaume le Bâtard Conquérant, fantastique biographie sentimentale du grand duc-roi, dont il sait faire un héros fraternel, présent.

Nul plus que La Varende n’aura été un écrivain du sang et du sol, dans une tradition qui doit plus à Barbey d’Aurevilly qu’à Barrès.

Son œuvre est immense. Au moins quatre-vingt-dix titres, sans compter les éditions de luxe à petit tirage qu’il affectionnait.

Seigneur qui savait que la seule noblesse est celle du service, il fut un homme de plume qui restera toute sa vie un homme d’épée.

Jean Mabire.