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John Buchan L’aventure, le courage et le mystère

Retour au sommaire du volume 4 des Que lire ?

En republiant un des plus célèbres livres de John Buchan, Salut aux coureurs d’aventure !, les éditions Phébus vont faire connaître à un nouveau public un écrivain écossais qui jouit encore outre-Manche d’une fantastique popularité.

Naviguant dès le début du siècle dans le sillage de son illustre compatriote Stevenson, il est l’auteur de nombreux romans, dont une dizaine ont été traduits en français. Ils évoquent un univers d’aventure, de mystère, de fantastique même, qui témoigne d’une vision du monde tout entière dominée par le goût du risque, le courage, le sens du « service ». Ses héros affrontent un univers hostile avec une familiarité toute britannique pour le dangereux, l’étrange et aussi cet humour sans lequel il ne saurait y avoir de véritable gentleman. Il est rare qu’un auteur à succès soit autant impliqué lui-même dans les grands événements de son siècle, tour à tour avocat, journaliste, diplomate, officier, agent secret, éditeur, parlementaire, représentant de la Couronne auprès de l’Église d’Écosse, haut fonctionnaire, gouverneur du Canada.

Sa vie fut celle d’une de ces « sentinelles de l’Empire » dont parlait le grand Kipling.

Pour enrayer la disparition des valeurs auxquelles il tenait, il avait sans doute fait partie d’une mystérieuse confrérie de responsables attachés comme lui à la tradition et à la grandeur de leur pays. Ce n’est pas le moindre des secrets de sa vie.

Celui qui devait devenir premier lord Tweedsmuir of Elsfield, un des plus importants personnages du Royaume-Uni à la veille de la Seconde Guerre mondiale, est le fils d’un modeste pasteur de village et d’une mère appartenant à une famille de fermiers et d’éleveurs de mouton. Né à Perth, le 26 août 1875, il appartient par toutes ses fibres familiales à l’Écosse des traditions et des légendes.

Élevé à la dure dans l’âpre décor de la vallée de la Tweed, c’est un gamin courageux, travailleur, rêveur éveillé et terriblement actif. À l’université de Glasgow, il découvre pendant trois ans la philosophie et l’histoire. Puis il décroche une bourse qui lui ouvre le cadre prestigieux d’un collège d’Oxford.

À vingt ans, ce jeune surdoué publie un premier recueil d’essais littéraires. Il choisit d’être avocat et entre au « Temple » de Londres comme stagiaire.

Une rencontre va orienter toute sa vie vers les paysages lointains et les missions secrètes. Lord Alfred Miner, gouverneur du Transvaal et de l’Orange, lui demande d’être son secrétaire. John Buchan part en 1901 pour l’Afrique du Sud.

À l’issue de la guerre des Boers, il s’agit de réconcilier Afrikaners et Britanniques. Ils ont ensemble à bâtir une nation. Le jeune fonctionnaire écossais joue un rôle qui lui convient, celui d’un négociateur, plus porté vers le compromis que vers la brutalité. Il a vite compris que les dominions de la Couronne sont voués à l’autonomie, si ce n’est à l’indépendance. L’important est de conserver quelques liens discrets mais tenaces.

Il a découvert les grands espaces, les royaumes disparus et surtout un type d’homme qui ne cessera de le hanter : celui de l’adventurer que l’on traduit mieux par coureur d’aventure que par aventurier, terme assez péjoratif en français.

Une carrière dans l’administration coloniale le tente, mais il possède aussi une bonne expérience de journaliste au Spectator et à l’agence Reuters. Il publie deux ouvrages techniques sur les problèmes administratifs et financiers de l’Empire, tout en se livrant à une de ses passions — il en aura beaucoup d’autres — l’alpinisme.

À trente-deux ans, il épouse Suzanne-Charlotte Grosvenor, dont il aura trois fils et une fille. Il s’associe avec un de ses camarades d’Oxford pour animer la maison d’éditions Nelson, qui publie des livres populaires à grand tirage non seulement en anglais, mais aussi en allemand, en espagnol, en hongrois, en russe même, en français surtout.

Il voyage à travers l’Europe. Pour ses affaires, sans doute. Pour le service de renseignements de sa Majesté, probablement. On le voit notamment dans les Balkans. Correspondant de ce qu’on nommera l’Intelligence Service.

En 1910, il publie son premier grand roman, Le Prêtre Jean. Un pseudo-pasteur noir, nationaliste et révolutionnaire, soulève les Cafres contre les Européens en se réclamant de la figure emblématique du mystérieux « prêtre Jean », personnage certes légendaire mais fascinant.

Curieusement, Buchan se révèle orgueilleux du destin de l’homme blanc et attentif au réveil du continent noir. En 1910, ce livre paraissait destiné à la jeunesse. Il a pris depuis une autre coloration, tant on pouvait y découvrir des accents prophétiques.

John Buchan devient rapidement le grand romancier de l’aventure. Il aime non seulement les grands espaces, les chevauchées, les combats, mais aussi le mystère, l’angoisse, le fantastique. Il échafaude un univers de rêve qui doit beaucoup aux récits de son enfance écossaise.

Il aborde le roman d’espionnage en connaisseur avec Les trente-neuf marches, dont Hitchcock tirera, en 1935, un film célèbre. Ce récit d’une poursuite haletante se déroule entre les brouillards de Londres et les landes d’Écosse.

L’année suivante, c’est Le Manteau vert. Mais la guerre fait rage sur le continent. Correspondant du Times, Buchan sert sur le front de France. Il est affecté à un état-major quand le gouvernement s’avise de ses dons d’observateur et de propagandiste. On lui confie un service nouveau : l’information. Il va s’y révéler rapidement the right man in the right place.

Au lendemain du conflit, il publie les vingt-quatre volumes d’une Histoire populaire de la guerre, écrit son autobiographie — très discrète sur certaines activités — et poursuit sa carrière de romancier (La centrale d’énergie, Le vingt-sixième rêve, Les trois otages) et d’historien (Walter Raleigh, Sir Walter Scott, Olivier Cromwell).

Salut aux coureurs d’aventure ou les exploits d’un jeune émigrant écossais en Virginie à la fin du XVIIe siècle, rassemble une belle collection d’individus pittoresques : prédicateurs, capitaines de navire, coureurs des bois, négociants, fonctionnaires coloniaux, Indiens de toutes les tribus. L’action n’est faite que de rebondissements, sur un rythme quasi cinématographique.

Dès 1927, Buchan siège au Parlement dans les rangs du parti conservateur. Ce qui ne l’empêche pas de prendre des positions très critiques. Il est malaisé de le classer dans une catégorie politique trop étroite. Avec quelques anciens d’Oxford, il participe aux activités d’une société non pas secrète mais discrète : La Table ronde. On s’y réclame d’une sorte de « socialisme impérial » et on cherche à recruter une nouvelle aristocratie assez fortement inspirée par les idées de Nietzsche sur le « surhomme ». Le caractère est la vertu essentielle de cette nouvelle chevalerie arturienne. Les vertus du vieux monde celtique y sont à l’honneur, à commencer par l’héroïsme, l’honneur, la fidélité. Ces modernes chercheurs du Graal tentent de perpétuer, en plein XXe siècle, les valeurs de leurs ancêtres lointains. Nommé par le roi lord Tweedsmuir, John Buchan va être appelé aux plus hautes fonctions administratives. Gouverneur du Canada, il trouve une mort accidentelle le 11 février 1940, alors que la guerre, une fois de plus, ravage la vieille Europe.

Il laisse une cinquantaine de romans et de recueils de nouvelles. Un des plus célèbre, The Runagates rassemble les histoires les plus extraordinaires que trouvent à se raconter les membres d’une sorte de club de gentlemen de fortune. Ce livre n’est pas encore traduit en français. Pourtant, il le mériterait.

Jean Mabire.