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Knut Hamsun Le triomphe de la volonté

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En 1890, l’écrivain norvégien Knut Pedersen, dit Knut Hamsun, publiait un livre qui fit l’effet d’une bombe littéraire : Suit (« Faim ») et il recevait en 1920 le Prix Nobel pour Markens Grade (« les fruits de la terre », traduit en français par L’Éveil de la glèbe). Vingt ans plus tard, lors de l’invasion de la Norvège par les Allemands, il prit publiquement position en leur faveur et défendit le mouvement de Vidkun Quisling. Cette attitude lui valut, au soir d’une très longue vie, un procès mémorable. Un livre, paru aux éditions Pardès sous le titre Un aigle dans la tempête, explique, sans l’excuser, l’itinéraire politique de cet individualiste forcené que son culte de l’énergie devait conduire à exalter le national-socialisme et Adolf Hitler, dont il écrivit, le 7 mai 1945, un singulier éloge posthume. Aujourd’hui, par-delà son engagement politique, le génie littéraire du plus célèbre fils du grand Nord est unanimement reconnu. Très nombreux à avoir été traduits en français, par Régis Boyer, depuis quelques années, les livres de Knut Hamsun sont un hymne puissant à la force, à la nature et à la vie.

Fils d’un tailleur de bourgade, Knut Pedersen naît le 4 août 1859 à Lom, dans le Gudbrandsdal, mais sa famille part, trois ans plus tard, pour l’île de Hamarøy, dans le Nordland, à la latitude des Lofoten, bien au-delà du cercle polaire.

C’est le pays de la démesure septentrionale, où toute une partie de l’année les habitants connaissent les nuits sans jour ou les jours sans nuits.

Le gamin Knut, apprenti cordonnier, est mis en pension chez un vieil oncle quinteux et avare. Il tirera de cette dure découverte de la vie un tempérament de solitaire à l’énergie farouche. Il en tirera aussi son nom de plume : l’oncle habite la ferme de Hamsund (on y trouve aujourd’hui un musée). Une coquille typographique, dans le premier article que signera de ce nom le fils du tailleur, fera tomber le d final. Il ne le regrettera pas et sera désormais Hamsun, pour le meilleur et pour le pire.

Et tout commence comme tout finira par le pire : la misère et l’exil.

Comme nombre de ses compatriotes, il part tenter sa chance outre-Atlantique. Il y vivra deux séjours, tour à tour garçon de ferme, « pion » d’école ou receveur de tramway. Il fait sur le tas l’expérience de l’impitoyable american way of life et en sera horrifié à jamais. D’où son pamphlet De la vie intellectuelle en Amérique qui est paru en 1889 et reste, à plus de cent ans de distance, clairvoyant et même prophétique.

S’il devait par la suite vouer une haine obsessionnelle à la vieille Angleterre, c’est de la jeune Amérique qu’il tire son premier rejet du monde anglo-saxon. D’où, par contre-coup, une sympathie envers l’Allemagne qui le mènera très loin. Ce qui ne l’empêche pas, parmi tous les peuples européens, de préférer sans doute les Russes. Anticommuniste dès le triomphe du bolchevisme en 1917, Hamsun ne confondra jamais la réalité populaire russe et le système soviétique.

Il ne faudrait pas croire pour autant que la politique le passionne. Ce qui l’intéresse, c’est la littérature. Ce quasi-autodidacte, formé à la plus rude des écoles, celle de la vie dans la Norvège septentrionale, est persuadé qu’il est un écrivain, un grand écrivain et même le plus grand de tous les écrivains de son peuple.

En 1890 paraît Suit (« faim »), que l’on traduira en France par La Faim, et qui provoquera l’enthousiasme de deux de ses « compatriotes » normands : Octave Mirbeau et André Gide. On imagine mal aujourd’hui tout ce que ce livre avait de révolutionnaire dans sa rupture totale avec la forme bourgeoise du récit romanesque.

Désormais, Knut Hamsun, qui est un homme sensible et généreux, va se révéler comme le plus révolutionnaire des écrivains, ne respectant rien ni personne. Ce conservateur, hanté par la vieille civilisation des Vikings, est aussi un anarchiste qui s’en prend aux journalistes, aux comédiens, aux littérateurs, à toutes les gloires et à toutes les modes de son temps. Il refuse en bloc le monde moderne industriel et mercantile, et nul plus que lui ne fut écologiste, dans sa passion pour les torrents, la forêt, les glaciers.

Il décide de se faire cultivateur, et fait valoir une ferme, de ses mains. Son culte de la vie est aussi culte de la force, de l’amour, de la liberté.

Il publie une vingtaine de romans depuis Mystères jusqu’au Cercle s’est refermé, en passant par Sous l’étoile d’automne, Pan ou Enfants de leur temps, pour n’en citer que quelques-uns, presque tous traduits en français chez Calmann-Lévy.

Romancier paysan du défrichage plus que de l’hérédité, il exalte avant tout la rupture, la volonté, le vagabondage même. Ses héros sont souvent des gens d’ailleurs, singuliers voire extravagants. À part sa critique de l’américanisme, il n’a écrit aucun essai politique et soutient Quisling sans militer en rien dans son mouvement, le Nasjonal Samling. Il donne pendant la guerre quelques articles assez anodins à la presse collaboratrice et participe au congrès des journalistes européens en 1943.

Par une sorte de défi, le 7 mai 1945, la veille de l’écroulement total du IIIe Reich, il publie cet hommage au Führer qui fera tant scandale :

« Je ne suis pas digne de parler à haute voix d’Adolf Hitler, et il est vrai que ni sa vie ni ses actes n’incitent à l’attendrissement. C’était un guerrier, un homme qui se battait pour l’humanité et qui proclamait son évangile de la justice pour toutes les nations. C’était une de ces figures éminentes qui bouleversent le monde, et son destin historique a été qu’il a œuvré dans un temps marqué par la plus innommable barbarie et que, finalement, il fut vaincu par lui. Tel est le regard que le ressortissant ordinaire d’Europe de l’Ouest doit porter sur Adolf Hitler, et nous qui fûmes ses proches partisans, nous inclinons présentement la tête pour pleurer sa disparition. »

La libération, pour lui, ce sera une assignation à résidence, avant l’internement dans un asile psychiatrique. Son procès, en 1948, se solde par une fantastique amende qui le laisse ruiné. À ceux qui le croient repenti ou gâteux, il répond en publiant, à quatre-vingt-dix ans, son plus beau livre : Sur les sentiers où l’herbe repousse. Après cet ultime défi à tous les nains, le vieux géant du Nord s’éteint, le 19 février 1952, dans sa résidence de Nørholm.

Ses dernières photos, avec sa barbe de patriarche témoignent chez ce fils d’un artisan de campagne, d’une souveraine noblesse.

Jean Mabire.