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Lucien Combelle Renégat inclassable et fidèle

Retour au sommaire du volume 4 des Que lire ?

Étrange personnage que ce Lucien Combelle, dont la disparition au printemps 1994 n’a vraiment pas fait grand bruit, alors qu’il était un des derniers survivants des grandes signatures des journaux du Paris occupé. Directeur de l’hebdomadaire Révolution nationale, où il avait accueilli Robert Brasillach et Drieu La Rochelle, il passa en son temps pour le polémiste le plus fasciste de la presse française et paya son engagement de plusieurs années de bagne. Tandis que beaucoup de rescapés de l’aventure tentaient de se recycler dans des entreprises bourgeoises et droitières, il préféra, après une brève tentative en direction du communisme, se tenir pour le restant de ses jours à l’écart de toute action politique militante, sans pour autant cesser d’être un observateur attentif d’un monde pris de folie suicidaire. Pour singulier qu’il soit, son itinéraire n’en apparaît que plus passionnant. Disciple de Rémy de Gourmont, secrétaire d’André Gide, ami de Paul Léautaud, il semblait n’avoir pour passion que la littérature. Mais il devait rencontrer sur son chemin le plus tentateur des démons intellectuels. Ce fils d’ouvrier fut très jeune séduit par Charles Maurras et les idées de l’Action française.

Doué d’une indépendance d’esprit peu commune et d’un caractère mal commode, il renia ensuite le vieux maître du nationalisme intégral et de l’antigermanisme absolu pour rejoindre l’internationale nationale-socialiste, qu’il devait à son tour renier après la défaite allemande. Ce renégat exemplaire n’en resta pas moins totalement fidèle aux amis qu’il avait rencontrés aux heures les plus engagées et les plus dangereuses de sa vie.

Même si, se rajeunissant, il prétendait être né « l’année de la mort de Rémy de Gourmont », c’est-à-dire en 1915, il n’en vit pas moins le jour le 4 août 1913, selon l’état-civil.

Le lieu de sa naissance, par contre, ne fait aucun doute, c’est le quartier Saint-Sever, le faubourg ouvrier de Rouen, sur la rive gauche de la Seine. Le fleuve, dans son autorité ducale, sépare ainsi les travailleurs des bourgeois, en une séculaire ségrégation.

Son père, d’origine auvergnate, ne tarde pas à se faire tuer à la guerre. Quelques années plus tard, sa mère, une Normande du meilleur cru cauchois, succombe à cette grippe espagnole, qui fera, dit-on, plus de victimes que le conflit lui-même.

Le jeune Lucien « mâtiné pomme et châtaigne », sera alors élevé par une grand-mère solidement ancrée dans le monde prolétarien.

Ce n’est pas sans inquiétude qu’elle voit lui échapper son grand gaillard de petit-fils qui va bientôt mesurer près d’un mètre quatre-vingt-dix sous la toise et se mettre à fréquenter quelques jeunes gens turbulents de la rive droite. Tout est question d’atmosphère. Cette atmosphère, c’est celle, fort brumeuse, des bas-quartiers d’une ville-décor, où gémit toujours l’accordéon de quelque Mac Orlan, tandis que les matelots font valser les filles faciles.

Le fleuve, le port, la mer. C’est une trinité qui va singulièrement compter pour cet enfant d’une Seine fort maritime, éprouvant tout au long de sa vie l’irrépressible besoin de retrouver les vagues grises de la Manche, sur la plage de Dieppe comme dans l’archipel des Chausey, où il aura longtemps l’habitude de passer le dernier jour de l’année.

Par réaction — c’est le cas de le dire — ce fils d’ouvrier va rejoindre les camelots du roi et on le verra vendre L’Action française sur le parvis de la cathédrale.

Pourtant, ce jeune Normand n’est pas un nationaliste comme les autres, car il n’éprouve guère de « sentiments patriotiques ». Il s’en expliquera plus tard : « Même Maurras m’avait astucieusement appris à nuancer entre nation et patrie ; l’une plutôt monarchique, l’autre tout à fait jacobine. Autant tout avouer : j’ai eu tôt, lectures aidant, un faible pour deux pays d’Europe : l’Angleterre et l’Allemagne ; des civilisés avec leur dose de barbarie. »

La grande passion de cet adolescent fort doué, ce sera finalement la littérature et elle d’abord.

Il découvre un écrivain déjà méconnu à l’époque : Rémy de Gourmont. Ce Coutançais va apprendre à son compatriote rouennais une bien salubre gymnastique intellectuelle. Combelle anime alors à Paris une petite revue : Arts et Idées. Grâce à elle, il fait la connaissance d’André Gide, qui l’engage comme secrétaire.

L’auteur des Nourritures terrestres retiendra surtout de son nouvel employé qu’il a « la tête à droite et le cœur à gauche ».

Ce jeune ambitieux n’aime guère marcher au pas de quiconque. Maurrassien puis gidien, il devient à jamais célinien quand il découvre le Voyage au bout de la nuit. Cela se sentira un jour un peu trop dans son écriture. La guerre le surprend. Il s’y jette. Il rêve de corps-francs. Le voici dans une section de transmissions, avec les écussons d’un régiment du génie. Affecté à une unité britannique, il participe à la grande retraite sans tirer un coup de feu, mais trouve quand même le moyen de se faire blesser dans un bombardement.

De retour à Paris, il se lance dans le journalisme.

D’abord à La Gerbe, où officie Alphonse de Chateaubriant, qu’il surnomme aussitôt « le Burgrave », puis à Révolution nationale, où l’entraîne cet extraordinaire aventurier qu’était Jean Fontenoy.

Il devient aussi secrétaire de Drieu La Rochelle qui a envie de faire travailler ce jeune compatriote, dont l’originalité et l’enthousiasme l’intriguent. Décidément, ces Normands sont partout ! Quelques articles dans la NRF ou dans Le Fait témoignent de ce qui va devenir une solide amitié entre un aîné qui ne joue pas au maître et un cadet vite séduit par la désinvolture, le courage, l’amertume de cet écrivain singulier. Combelle voudrait faire de Révolution nationale un des grands hebdomadaires « politiques et littéraires » du Paris occupé. Il recueille Robert Brasillach quand celui-ci quitte Je suis partout, après la crise de l’été 1943. Il publie, jusque dans son dernier numéro, les articles de Drieu qui se montre, de semaine en semaine, plus lucide sur l’inévitable naufrage de son vieux rêve de « socialisme européen ».

Le 28 décembre 1944, Lucien Combelle, contre qui avait été requise la peine de mort, est condamné par une cour de justice à quinze ans de travaux forcés. Il ne connaîtra pas moins de onze prisons.

Quand il est libéré, en 1951, il publie un petit livre qui provoquera quelque émoi dans le milieu des « épurés » : Les Prisons de l’espérance. Était-il si scandaleux d’affirmer que le camp des vaincus regroupait de multiples sensibilités souvent contradictoires ? L’ancien taulard était assez intelligent pour montrer l’inanité de l’étiquette « fasciste » appliquée à des personnages aussi différents et que ne réunissait finalement que le malheur commun. Il était pourtant évident que le clan des collaborateurs n’était pas plus univoque que celui des résistants.

Pour sa part, il croira retrouver dans le communisme ce « socialisme fier, viril » auquel Drieu lui avait demandé de rester fidèle. Il s’en écartera vite. On l’entendra longtemps gagnant sa vie à Europe n°1, où il va être le « Monsieur Larousse » de certaines émissions de variétés. Et puis il écrit. Très peu. Mais fort bien.

Il va mettre plus d’un quart de siècle à rédiger Péché d’orgueil, qui est un curieux livre de mémoires. Certains vont estimer qu’il renie, une fois de plus, une cause qui fut la sienne. D’autres, au contraire, découvriront chez lui une inébranlable fidélité à ses amis disparus.

Sûr de lui, volontiers cassant, toujours péremptoire, il prend de haut les événements et les hommes. Mais il sait aussi, quand il parle de lui-même, manier l’humour le plus noir : « Je m’étais trouvé un emploi chez les militants, emploi d’écriture, ma passion. Besogne ingrate, métier dangereux, sans prime de sécurité. Il ne faut pas jouer plus avec les mots qu’avec les armes. Mais avec le recul, je ne regrette rien, persiste et signe. »

Jean Mabire.