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Maurice Constantin-Weyer l’art de vivre dangereusement

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Pour qui a eu sa jeunesse hantée par les récits de Jack London ou de James Oliver Curvood, le nom de Maurice Constantin-Weyer sonne d’une manière toute fraternelle. Cet écrivain fut, entre les deux guerres, l’incontestable spécialiste du Grand Nord canadien ; il en restitua, avec une rare puissance d’évocation, les paysages et les mœurs, reflets fidèles d’un monde tout entier dominé par une nature démesurée et inhumaine — ou du moins surhumaine. Toute son œuvre est une leçon d’énergie et même de dureté. Elle s’inscrit dans la ligne des récits héroïques qui ont profondément influencé, l’une après l’autre, plusieurs générations de lecteurs. Constantin-Weyer, sans nul doute, a suscité des vocations pour cette vie dangereuse dont il a été le chantre le plus authentique, après avoir lui-même vécu outre-Atlantique des aventures fort exaltantes.

Né à Bourbonne-les-Bains, le 14 avril 1881, Maurice Constantin-Weyer considérait son terroir de Haute-Marne comme la marche occidentale d’une Lorraine qu’il estimait essentiellement « franque », ce que l’on pourrait traduire par « germanique de langue française ».

Le sentiment qui le porte vers le Septentrion et quelque polaire origine de sa « tribu » va jouer à fond quand sa famille subit un sérieux revers de fortune qui la laisse sans le sou. Le jeune Maurice a tout juste vingt ans et il décide d’émigrer vers des terres inhospitalières, où ne peuvent survivre que les plus forts et les plus durs.

Tournant le dos sans regret à sa vie d’étudiant en sciences envisageant de « faire médecine », il traverse l’Atlantique et débarque sur un nouveau monde qu’il aborde avec l’âme d’un conquérant, d’un pionnier, fasciné par les vieux récits de la frontière et ces histoires de coureurs de bois que racontait si bien Fenimore Cooper.

Le jeune Lorrain arrive un peu tard pour participer à l’épopée meurtrière du Far-West et exerce le métier de cow-boy dans une ambiance assez différente de celle des westerns de la grande époque. Il trime durement comme ouvrier agricole avant de devenir fermier.

Mais la Prairie n’est pas encore assez hostile pour un garçon porté à tous les combats. Alors il part vers le Nord. Vers la Forêt. Au Canada, il sera tour à tour marchand de chevaux, bûcheron, chasseur de fourrures. Il a découvert son véritable domaine, celui de la neige et des loups.

Délaissant le Québec qu’il ne trouve peut-être pas assez éprouvant, il vagabonde encore plus à l’ouest dans le Saskatchewan et le Manitoba (province qui fournira le titre d’un de ses meilleurs livres).

Là, les francophones catholiques sont rares, perdus au milieu des protestants écossais, anglais ou irlandais. Parfois, l’émigrant franchit le cercle polaire et s’enfonce dans les solitudes glacées de la baie d’Hudson avec son traîneau, ses chiens et son fusil.

En 1914, il revient en Europe pour combattre et va aussitôt se révéler légendaire entraîneur d’hommes, méritant au feu ses galons d’officier. Il se bat comme chef d’infanterie à Verdun, puis comme commandant de compagnie en Macédoine, où il donne l’assaut au Srka di Legen que défendent les terribles Bulgares. Il tombe grièvement blessé en entraînant les Flamands, les Bretons et les Basques de sa compagnie, dont il a fait une unité de choc. Profondément handicapé, il n’en repart pas moins au front et fait partie des premiers équipages de chars de combat, qui portent sur leur paletot de cuir sombre la salamandre (ce sera le titre d’un de ses livres).

La guerre terminée, Maurice Constantin-Weyer, Médaille militaire et Légion d’honneur, invalide à 80 %, devient journaliste et publie un premier roman, Vers l’Ouest, dès 1921.

Il a maintenant quarante ans et commence, après une vie d’aventures, une carrière d’hommes de lettres.

Ses souvenirs du Canada lui fournissent une inspiration dont il profitera au point qu’on ne sait trop, dans certains de ses livres, s’il s’agit de romans ou de récits : La Bourrasque, Cinq éclats de silex, Clairière, Du sang sur la neige, Un sourire dans la tempête.

Dès 1928, il obtient le Prix Goncourt pour ce qui est son œuvre la plus célèbre et incontestablement la meilleure : Un homme se penche sur son passé. C’est l’échec d’un amour entre un homme qui lui ressemble comme un frère, Lorrain d’origine, et une jeune Canadienne — il dit « Canayenne » — de famille irlandaise, donc celte. L’opposition des deux tempéraments est fort bien vue. Mais le livre vaut surtout par toute une conception, impitoyable, de la vie dans le Grand Nord.

« Je sentais renaître en moi l’âme dure, volontaire et superstitieuse d’un très lointain ancêtre, qui à l’époque de la préhistoire avait, comme moi, lutté contre le froid, la faim et la fatigue. Comme lui, je triompherais… J’étais de sa race, à travers des centaines et des centaines de générations. »

Dans cette immense espace « la victoire suprême, c’est de survivre. » Après avoir évoqué « les barbares des races nordiques, nos pères », le héros célèbre le Canada et « la rude volonté de quelques hommes autoritaires qui ont fait de ce désert un pays riche. »

Adaptateur de Shakespeare et alpiniste, Constantin-Weyer, qui va mourir en 1964 à quatre-vingt-trois ans, ira beaucoup plus loin dans l’exaltation du pays de la feuille d’érable que les autres écrivains français, tels Louis Hémon (Maria Chapdelaine) ou Louis-Ferdinand Rouquette (Le Grand Silence blanc) : il donne une véritable dimension tellurique à cet affrontement avec la nature.

De son roman Telle qu’elle était de son vivant, paru en 1936, Jacques Feyder a tiré un beau film, tourné en 1939 en Laponie, avec Michèle Morgan, Charles Vanel et Pierre Richard-Willm : La Loi du Nord.

Jean Mabire.