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Maurice Rostand Vieux jeune homme des Années folles

Retour au sommaire du volume 4 des Que lire ?

Personne n’a été charitable avec Maurice Rostand, ni son académicien de père qui l’a méprisé, ni sa poétesse de mère qui l’a trop choyé, ni ses nombreux amis qui l’ont abandonné, ni le public qui s’est souvent moqué de lui, sans vouloir reconnaître qu’il n’était pas seulement un extravagant amuseur, mais aussi un écrivain délicat et un cœur généreux. Certes, il s’est un peu trompé d’époque, prolongeant en notre siècle les élans d’un romantisme, déjà bien démodé quand il rimait ses premiers vers.

Auteur d’une quarantaine d’ouvrages, celui qui cultiva une silhouette d’éternel adolescent, voué dès l’enfance au rôle de chevalier servant d’une maman parfois bien encombrante, est certes un écrivain mineur. Il s’est pourtant souvent révélé homme d’esprit, multipliant les cocasseries et les paradoxes.

Ses réparties ont fait rire le Tout-Paris, même si les sourires se multipliaient parfois dans son dos. Il affectionnait une coiffure artiste, se teignait les cheveux en mauve et se tortillait dans des costumes trop cintrés. Souvent jugé — et mal jugé — sur des attitudes gentiment provocantes, il se souciait peu de sa réputation, même littéraire. C’est dommage, car il a écrit au moins un bon roman : L’homme que j’ai tué. Il eut le courage d’être pacifiste entre les deux guerres et réussit à se garder de ce racisme antiallemand, cancer de l’Europe. Cocteau ne s’y trompa pas qui fut toujours amusé par les foucades de ce farfadet.

De son père, Edmond Rostand, on connaît au moins trois pièces : un chef-d’œuvre, Cyrano de Bergerac ; un succès, L’Aiglon ; un échec, Chantecler. De sa mère, Rosemonde Gérard, tout le monde a retenu une belle trouvaille, encore utilisée par de nombreux couples, et pas seulement le jour de la Saint-Valentin : « Je t’aime davantage, aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain. »

Malgré une telle affirmation, le ménage Rostand ne fut guère exemplaire. Le bel Edmond papillonnait d’actrice en femme du monde (entier ou demi), avec un goût de la collection qui devait lui amener quelques déboires. Ne mourut-il pas « entre une grande blonde qui l’ennuyait et une petite brune qui le fatiguait » et dont aucune n’était sa femme légitime ?

Celle-ci se consola avec ses poésies et ses enfants. Si les premières sont bien oubliées, les deux seconds devaient, en leur temps, faire leur chemin. L’aîné, Maurice, né le 26 mai 1891, allait devenir poète, comme papa et maman. Quant au second, Jean, de trois ans son cadet, il sera un des plus célèbres biologistes de son siècle. Et un esprit original, aux limites, parfois franchies, du paradoxe.

Tous les psychanalystes seront d’accord pour débusquer, dans le cas de Maurice et de sa mère, une parfaite illustration du complexe d’Œdipe. Jamais enfant ne fut plus couvé, choyé, gâté. Il aura du mal à se relever d’une présence maternelle aussi possessive, ou plutôt il ne s’en relèvera jamais et tirera de cette situation une singularité, propre à amuser le Tout-Paris et quelque peu éclipser la gloire de ce jeune poète, qui en valait bien un autre.

Dans la courte mais tendre biographie de cet écrivain mineur, Christian Gury rapporte une anecdote révélatrice : « On raconte que le chérubin, lorsque sa génitrice sort pour dîner en ville, attache à son doigt un fil d’Ariane et que, dans sa main la bobine, il conserve ainsi l’impression, où que soit Rosemonde, de ne jamais la quitter. »

Le jeune prodige a vite la réputation de composer « des vers sublimes ». Personne, il est vrai, en ce début de siècle, ne doute du génie de son père ni du talent de sa mère. L’hérédité commande.

Il fréquente, très jeune, la loge de l’actrice Sarah Bernhardt, très vieille. Cela ne l’empêche pas de jouer à la poupée jusqu’à un âge avancé et de partager les jeux des petites filles dans la propriété familiale de Cambo, au Pays basque. Il ne va pas en classe, mais sa famille lui procure les soins d’un précepteur particulier, très particulier même.

Entre les maîtresses de son père et les amants de sa mère, Maurice se fait remarquer par son air égaré. Il arbore une longue chevelure frisée — pas encore teinte en couleur lavande — un veston pincé à la taille et orne un de ses poignets d’un bracelet en émail blanc guilloché.

On ne s’étonnera guère de savoir qu’il a pour commensal Jean Cocteau. Ils se prennent pour Byron et Shelley, fondent une revue, sont sur la même ligne de départ, promis à un bel avenir, qui ne peut être que poétique. Cocteau étonnera le monde. Son complice, lui, n’échappera pas à un certain conformisme littéraire, étouffé qu’il est par des parents décidément trop lourds à assumer. Quand Edmond meurt en 1918, il se rapproche encore davantage de sa mère. Ils forment un couple inséparable. On les rencontre à toutes les générales, à tous les vernissages, à tous les dîners en ville du Paris artistique ; fée Carabosse flanquée d’un gigolo qui joue les Adonis.

Cette comédie mondaine, frisant parfois le ridicule, n’empêche pas Maurice de travailler. Il écrit d’abord des poèmes : Les Insomnies, Morbidezza, La Page de la vie. Ce n’est pas mauvais ; c’est parfois charmant, mais c’est surtout démodé. En retard d’un siècle sur Alfred de Musset. Il s’attaque aussi au roman. Il réussit surtout les titres : Le Cercueil de cristal, Le Pilori, L’homme que j’ai tué, L’Ange du suicide, La Tragédie de la route et même La Femme qui était en lui, dont la seule couverture provoque des sourires entendus.

Il considère le théâtre en vers comme un héritage et s’essouffle vite dans le sillage de feu son académicien de père. Le Masque de fer ou Le Secret du sphinx ne sont pas des chefs-d’œuvre. La tragédie historique le tente : Napoléon IV, Charlotte et Maximilien, Madame Récamier, Le Général Boulanger. N’y manque même pas — on l’eût juré — Le Procès d’Oscar Wilde.

Son plus grand succès est aussi le plus mérité. L’Homme que j’ai tué, tiré d’un de ses romans, témoigne d’un singulier courage dans une société toute imprégnée des sentiments les plus stupidement cocardiers : un violoniste confesse avoir tué, pendant la Grande Guerre, un soldat allemand passionné de musique. Rongé par le remords, il se rend dans la famille de sa victime.

Cela pourrait être affreusement mélodramatique. Pourtant, l’histoire va émouvoir de nombreux spectateurs — malgré les manifestations de patriotes indignés. La pièce sera portée au cinéma, à Hollywood, en 1932, par Ernst Lubitsch, avec Lionel Barrymore et Nancy Caroll.

Maurice Rostand, qui avait commencé sa carrière théâtrale en adaptant, avec l’aide de sa maman, Un bon petit diable, de la comtesse de Ségur née Rostopchine, devient, entre les deux guerres, un auteur à la mode. Certes, sa poésie est du sous-Cocteau et son théâtre du sous-Guitry, mais il n’en tient pas moins sa place d’amuseur amusé et d’enchanteur enchanté.

Il exprime des opinions qu’il croit singulières, si ce n’est scandaleuses : cet inverti se dit catholique et ce bourgeois se croit socialiste. Il n’est que gentil, aimant le petit Jésus et les bons pauvres.

Il a la réputation de n’avoir jamais médit de personne, ce qui est un exploit quand on a publié, en 1948, Confession d’un demi-siècle, agréable livre de souvenirs.

Le drame survient en 1953, à la mort de sa mère. Maurice en devient littéralement fou. Il est recueilli par son frère Jean, à Ville-d’Avray, au milieu des grenouilles. Il meurt le 22 février 1968. Il était retombé en enfance.

D’ailleurs, l’avait-il jamais quittée ?

Jean Mabire.