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Paul Bourget Pas si démodé, ce traditionaliste…

Retour au sommaire du volume 4 des Que lire ?

Il est une terrible épreuve pour un romancier, c’est celle de la réédition, à un siècle de distance qui plus est, d’un de ses livres, ayant naguère connu un immense succès.

Le Disciple n’était qu’un titre, oublié du public, oublié même de la plupart des manuels de littérature. Et pourtant les éditions de la Table ronde viennent de le refaire paraître dans leur petite collection « Vermillon ». Le résultat est curieux. Paul Bourget, prototype de l’écrivain psychologue et académique, a certes vieilli, mais on ne peut qu’être frappé par la solidité de son métier. Et il traite un sujet qui est loin d’être indifférent : celui de la responsabilité de l’écrivain.

À une époque totalement conditionnée par la foire médiatique, où l’on écrit n’importe quoi pour n’importe qui, il est assez surprenant de découvrir un auteur qui ne se soucie pas seulement de nous raconter — souvent fort bien — une histoire, mais prétend aussi jouer son rôle dans la société, celui d’un homme qui se veut bien davantage moraliste qu’esthète.

Non sans quelque répétition ni quelque lourdeur, il évoque un monde d’où les préoccupations les plus hautes ne sont jamais absentes. C’est finalement une belle construction intellectuelle, dont le principal mérite est de n’esquiver aucun des grands problèmes de son temps. Voici une œuvre qui manque sans doute de légèreté mais non de sérieux. Conservateur et même réactionnaire, il nous rappelle quelques valeurs essentielles : la famille, la patrie, la tradition. L’ordre, en un mot.

Romancier de la vie mondaine, bourgeois impressionné par les aristocrates, coqueluche à la fin du siècle dernier des salons parisiens, Paul Bourget apparaît aussi comme un « homme de nulle part », singulièrement déraciné. Cet horloger habile des sentiments, est né à Amiens, dans la Somme, le 2 septembre 1852. Mais il n’appartient que par le hasard de son berceau à la Picardie. Son père est un universitaire, mathématicien réputé, et sera recteur des académies d’Aix et de Clermont. D’où quelques images provinciales dans l'œuvre de son fils.

On ne comprendrait rien à sa démarche si l’on oubliait qu’il vécut à dix-huit ans le désastre de 1870. Quel coup de tonnerre pour un adolescent, né l’année même où Napoléon III fut proclamé empereur ! Il en gardera toute sa vie la hantise de quelque grande réforme intellectuelle, capable de restaurer l’identité nationale. Son œuvre de romancier est inséparable d’un itinéraire politique qui fera de lui un des compagnons de route de l’Action française.

Certes, après un séjour à l’école des Hautes Études et une licence ès Lettres, il écrit des vers, comme tout le monde. Pas moins de trois recueils, dont Edel, tendre évocation d’une jeune Danoise, qui cache peut-être quelque aventure de jeunesse. Mais il va très vite se détacher du romantisme et s’opposer tout aussi résolument au naturalisme.

Ce qui le passionne, c’est l’évolution intellectuelle de ses personnages. D’où un aspect souvent assez froid chez cet écrivain qui va attendre ses trente-trois ans pour écrire son premier roman, Cruelle énigme, dont le titre seul révèle l’aspect parfois mélodramatique des intrigues qu’il va imaginer, ce qui d’ailleurs va asseoir son succès. Le public aime les histoires où ne manquent ni les rebondissements ni les scènes audacieuses (pour l’époque).

D’emblée, il moralise en exposant des situations et des sentiments prouvant l’impasse à laquelle aboutissent toutes les pseudo-libérations de cette fin de siècle. En ce sens, Bourget peut apparaître à la fois démodé et actuel, peignant toute une société avec ses échecs, ses tares, ses vices.

Il inaugure une voie que suivront quelques romanciers au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : c’est un « écrivain engagé ». En ce sens, Jacques Laurent n’avait pas tort d’écrire un joyeux petit pamphlet où il comparait, sous le titre Paul et Jean-Paul, Bourget à Sartre !

Avec André Cornélis, le jeune romancier donne une transposition moderne de l’histoire d’Hamlet : un adolescent poignarde le second mari de sa mère, homme qui a naguère provoqué l’assassinat de son père. On décèle déjà quelques-uns des défauts de Bourget : dialogues grandiloquents, missives explicatives, situations invraisemblables, parfois même aux limites du grotesque.

Arrive-t-il à son heure ? En tous cas, il plaît au public, du moins à cette classe sociale qui se prépare à profiter de la Belle Époque. C’est d’autant plus insolite que Bourget, loin de flatter l’insouciance bourgeoise, ne songe qu’à prévenir les jeunes gens des dangers moraux qui les menacent et dont ils devront triompher.

Il ne cache pas ce but dans la préface de son roman le plus connu Le Disciple, paru en 1889. Le sujet lui tient à cœur. Et il n’a pas vieilli. C’est celui de la responsabilité de l’écrivain. Dans le bien comme dans le mal. Lui, il choisit sa voie, celle de la génération des vingt ans au début de la IIIe République :

« Nous nous disions que notre œuvre à nous était de vous refaire, à vous, une France nouvelle, par notre action privée et publique, par nos actes et par nos paroles, par notre ferveur et par notre exemple, une France rachetée de la défaite, une France reconstruite dans sa vie extérieure et sa vie intérieure. (…) Les triomphes et les défaites du dehors traduisent les qualités et les insuffisances du dedans. (…) L’âme française était bien la grande blessée de 1870, celle qu’il fallait aider, panser, guérir. » C’est là un langage d’écrivain que l’on devait encore entendre en 1940 :

« Il ne s’agit plus d’être spirituel, léger, libertin, railleur, sceptique et folâtre ; en voilà assez pour quelque temps au moins. Le Dieu, la nature, le travail, le mariage, l’amour, l’enfant, tout cela est sérieux, très sérieux, et se dresse devant toi. »

Le romancier dénonce un certain jeune homme qu’il qualifie de « fin de siècle » et dont il dit : « Il n’estime que le succès et dans le succès que l’argent. » Cela ne pourrait-il s’écrire aujourd’hui ?

L’auteur du Disciple va se spécialiser dans le roman à thèse. En témoigne par exemple Cosmopolis, peinture sans complaisance de la société internationale dans la Rome moderne, où chaque personnage incarne d’une manière presque caricaturale un certain type ethnique. C’est du Zola, mais avec les idées de Taine, si ce n’est de Gobineau !

Désormais, Bourget va de succès en succès. Ainsi L’Étape, où une famille se désagrège après avoir été véritablement intoxiquée par la société démocratique ; Un divorce, reflet d’un catholicisme intransigeant ; L’Émigré, surtout. Le marquis de Claviers-Grandchamp préfigure les hobereaux de La Varende :

« L’erreur des révolutionnaires, dit-il, est qu’ils ont essayé de fonder la société sur l’individu, alors que la Nature veut qu’elle le soit sur la famille. » Et il ajoute : « Il n’y a d’accroissement de la force d’un pays que si les efforts des générations s’y additionnent, si les vivants se considèrent comme les usufruitiers entre leurs morts et leurs descendants. (…) Il faut que les familles s’enracinent pour durer, qu’elles possèdent l’assiette territoriale, qu’elles s’amalgament à un sol. »

C’est écrit en 1907 et peut classer ce romancier français parmi les prophètes d’une certaine révolution conservatrice, qu’il serait faux de limiter à quelques penseurs d’Outre-Rhin sous la république de Weimar.

Paul Bourget meurt à Paris, le 25 décembre 1935. Il avait pris dans L’Étape une position sans nuance sur le parlementarisme, « une minorité de charlatans issue d’une majorité d’ignorants », comme sur le socialisme, évoquant « le sauvage aspect réservé à notre malheureux pays, si jamais les imbéciles doctrines du socialisme y triomphaient : celui d’un asile d’aliénés débarrassés de ses gardiens ! »

Jean Mabire.