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Paul Chack Maître du récit maritime

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Le 3 juillet 1940, une escadre britannique attaquait la flotte française au mouillage dans le port de Mers el-Kébir. Bilan : treize cents morts. Cette agression provoqua une profonde émotion dans toute la marine nationale et conduisit certains officiers à prendre des positions politiques très brutales. Quelques-uns se montrèrent partisans farouches de la politique de collaboration franco-allemande esquissée à Montoire. Paul Chack paya de sa vie cet engagement. Il n’en fut pas moins en son temps le premier écrivain maritime français.

S’il est des livres qui se vendent toujours très bien chez les libraires d’occasion, notamment sur les quais de la Seine, ce sont les « Paul Chack ». Non seulement ceux qui les ont lus avec passion dans leur jeunesse veulent retrouver leurs souvenirs d’alors, mais une nouvelle génération se montre à son tour curieuse de ces récits historiques, écrits dans un style tout à la fois documenté et vivant Paul Chack est un des grands précurseurs du journalisme historique, qui devait par la suite caractériser des best sellers du style The longest Day, de l’Américain Cornélius Ryan ou Sie kommen! de l’Allemand Paul Carell, chefs-d’œuvre d’un genre dont le succès ne se dément pas une cinquantaine d’années après la guerre.

Né à Paris en 1875, Paul Chack choisit de servir à la mer. La mer, d’ailleurs, il ne la verra pour la première fois qu’à l’âge de dix-huit ans ! Il sort en 1893 du navire-école Borda où se formaient alors les officiers de la Royale. Peu avant la Seconde Guerre mondiale, l’écrivain résume, en quelques phrases nerveuses qui ne manquent pas d’allure, ce que fut sa carrière :

« J’ai été marin. Quarante années durant, j’ai servi dans le Grand Corps. À bord de quinze bâtiments de guerre, j’ai exercé à peu près tous les métiers. J’ai fait mes premiers quarts à la voile, tour à tour sur deux frégates. J’ai parcouru les sept mers et bien des terres. À l’époque de la piraterie tonkinoise, j’ai briqué le fleuve Rouge, la rivière Claire et la rivière Noire. J’ai été spécialiste de l’électricité, de la torpille et du canonnage. J’ai commandé un sous-marin en temps de paix et un contre-torpilleur pendant la guerre. Bref, j’ai servi. »

En 1921, le capitaine de frégate Chack, qui avait été directeur du tir sur le cuirassé-amiral Courbet au début de la Grande Guerre, est affecté à un poste qui va déterminer toute la fin de sa carrière : il devient le responsable du Service historique de la Marine. À quarante-six ans, il « embarque » au milieu des livres et des cartons où dorment, parfois depuis des siècles, les plus extraordinaires rapports de mer. Le voici à pied d’œuvre pour découvrir les aventures que son expérience du métier de marin lui permet de comprendre mieux que nul autre.

Dès 1925, Paul Chack publie avec son ami Claude Farrère, officier de marine comme lui, Combats et batailles sur mer (septembre-décembre 1914). C’est le récit, particulièrement coloré, de la guerre dans le Grand Sud et de la bataille des Falklands, que les Français devraient appeler les Malouines.

Il écrit ensuite seul, aux Éditions de France, une dizaine de livres, dont la plupart retracent les combats de la guerre navale 14-18 et dont le plus connu reste On se bat sur mer, paru dès 1926.

Sous le titre de Branle-bas de combat ou de Pavillon haut revivent aussi les exploits de nos marins sur tous les fronts de mer.

Encouragé par ces succès, il s’attache ensuite à des faits maritimes plus lointains, que ce soit la carrière de Du Chaffault, L’Homme d’Ouessant, ou de Hoang-Tham pirate. Il écrit aussi Deux Batailles navales, le récit très clair des combats de Lépante et de Trafalgar. Traversées épiques et Croisières merveilleuses réunissent de courts récits, dont l’ensemble constitue un panorama assez complet de notre histoire navale.

La plupart des aventures narrées dans ses livres seront, par la suite, reprises dans deux séries de petites brochures qui ont connu, avant et pendant la guerre, un succès prodigieux : la collection « Marins à la bataille » (seize titres) et la collection « La mer et notre empire » (les mêmes titres plus sept autres). Tous sont illustrés par Léon Haffner, un des animateurs de la Ligue maritime et coloniale.

Mers el-Kébir ne peut que toucher cruellement Paul Chack. Déjà, il n’aimait guère les Anglais, sur mer incontestables ennemis héréditaires, ce qui n’empêche pas l’estime mais exige de garder la mèche allumée près de l’âme des canons.

Il s’installe à Paris en juin 1941. L’Allemagne vient d’attaquer l’Union soviétique. Anti-communiste de toujours — depuis les fameuses mutineries de la mer Noire, en tout cas — il croit au mythe de la croisade européenne contre le péril Rouge, qui remplace le péril Jaune de sa jeunesse.

Paul Chack fonde un Comité d’Action anti-bolchevique, dont il devient président, on dirait presque commandant. Un an après le début de la guerre à l’Est, il organise salle Wagram, en juin 1942, une exposition : Le Bolchevisme contre l’Europe, qui attire les foules en dénonçant brutalement les crimes du stalinisme. Il n’a pas l’habitude des demi-mesures. Il se considère en guerre avec le communisme et mène son action comme un combat à l’abordage. Il prend des initiatives, incite des jeunes à s’engager, se montre sur les estrades, s’inscrit au Cercle aryen. Il sera même, en 1943, un des fondateurs du Front révolutionnaire national. Comme on dit vulgairement, « il se mouille », à sa manière, c’est-à-dire, sans nuance. Resté à Paris lors du départ des Allemands, il sera rapidement arrêté, traduit en justice, condamné à mort le 18 décembre 1944 et exécuté quelques jours plus tard, dans sa soixante-dixième année.

Capturé parmi les premiers, Paul Chack fait partie de ceux qui payent leur engagement au prix le plus lourd.

Jean Mabire.