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Paul Féval Tel père, tel fils

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La mode reste plus que jamais aux grandes « sagas » historiques, qui ont l’avantage de faire voyager à peu de frais le lecteur dans le temps et dans l’espace. Littérature d’aventure et de dépaysement, tout cela n’est guère nouveau et il est révélateur qu’un éditeur fasse confiance aux plus vieilles recettes en rééditant les principaux romans d’un des grands maîtres du genre, dont le cinéma a inlassablement relayé le succès. En réunissant la demi-douzaine de volumes du fameux cycle du Bossu, la collection « Omnibus » des Presses de la Cité renoue avec la grande tradition du roman populaire et rend du même coup un nécessaire hommage à ces deux auteurs féconds que furent Paul Féval, père et fils. Ils exploitèrent, l’un après l’autre, une véritable mine d’or, en élevant jusqu’à la hauteur d’un mythe leurs fantastiques histoires de « cape et d’épée » vouées à passionner plusieurs générations. Si l’on sait que l’année 1844, à elle seule, a vu paraître non seulement Les trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, mais aussi les œuvres de Paul Féval, d’Eugène Sue et de Paul de Kock, on peut se dire que cent cinquante ans filent comme l’éclair, quand le grand public a trouvé ses maîtres, d’autant que s’y ajoutent vite Ponson du Terrail, Gustave Aimard ou Edmond About. Quelle belle équipe !

Tout le monde connaît la célèbre réplique « Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi » et on imagine mal que Paul Féval, auteur familier et fraternel, soit né voici très longtemps.

Il vient au monde à Rennes, le 27 septembre 1816, d’un père champenois, de lointaine origine normande (le blason de la famille est « d’azur à trois croissants d’argent ») et d’une mère bretonne originaire de Quimper, qui fera baptiser son dernier fils, après Paul et Henri, du troisième prénom de Corentin.

Dix ans plus tard, l’enfant, cadet de deux autres garçons, voit disparaître son père, magistrat. L’orphelin décide de sacrifier à son tour au droit et, après d’assez médiocres études, devient avocat. Il ne plaidera, dit-on, qu’une seule fois et perdra le procès de son client, un paysan accusé du vol d’une douzaine de poules.

Qu’importe, le jeune Paul rêve d’être romancier. Et pas des moindres. Ce garçon de vingt ans a tout simplement résolu d’être le Walter Scott breton, apportant au duché de sa jeunesse cette renommée littéraire que l’Écosse doit à son grand écrivain patriote.

Il croit que c’est à Paris qu’il défendra le mieux la Bretagne et rendra célèbres ses paysages, son histoire et ses héros. Le naïf provincial comprend très vite qu’il risque d’y mourir de faim, connaissant la misère, la solitude, le désespoir. Il surnage en faisant tous les métiers, de correcteur d’imprimerie à employé de banque.

Il réussit pourtant, en 1841, à faire publier dans La Revue de Paris, un récit au titre étrange : Le Club des phoques. Le directeur de L’Époque le remarque et lui demande de partir pour l’Angleterre afin d’y écrire Les Mystères de Londres, roman-feuilleton destiné à faire concurrence aux Mystères de Paris. Paul Féval devient du même coup le grand rival d’Eugène Sue.

En moins d’un demi-siècle, jusqu’en 1880, l’ouvrage va connaître cent trente rééditions ! C’est le succès. Immédiat et prodigieux. Le livre est bientôt suivi par Les Amours de Paris, de la même veine. Son auteur n’oublie certes pas la Bretagne et en fera la toile de fond de bien d’autres romans comme Le Loup blanc, Le Fils du diable, La Closerie des genêts, La Forêt de Rennes ou La Fée des grèves.

À trente ans, il connaît le succès et à quarante le triomphe : c’est en 1857 que Le Bossu, ou le petit Parisien paraît en feuilleton dans Le Siècle, du 7 mai au 15 août.

Incontestablement, c’est le chef-d’œuvre du genre. Ce Lagardère est si étroitement mêlé à la vie des premières années du XVIIIe siècle que d’aucuns croient qu’il s’agit, comme d’Artagnan, d’un personnage historique. Pourtant, ce héros est seulement le fruit d’une inépuisable imagination. Il multipliera, pendant une vingtaine d’années, les aventures les plus extraordinaires. Jamais la fin du règne de Louis XIV et la Régence n’ont été décrites ainsi, sur le rythme d’une perpétuelle chevauchée.

Marié, père de huit enfants, écrivain arrivé à des tirages fantastiques, Paul Féval va se trouver totalement ruiné par une imprudente spéculation financière : il a placé toute sa fortune chez les Turcs et le sultan fait banqueroute !

Alors le romancier, qui a atteint la soixantaine, décide de repartir à zéro et commence par se convertir au catholicisme le plus pratiquant et le plus militant. Il travaille comme un damné et arrivera en une seule année à produire quatorze romans !

Sa crédulité incorrigible le pousse à confier toute sa fortune, péniblement reconstituée, à un escroc qui en profite pour lever le pied !

Cette fois définitivement ruiné, brusquement incapable d’écrire, l’auteur du Bossu finit tristement sa vie dans une maison de retraite religieuse.

Quand il meurt, le 8 mars 1887, il est déjà très oublié du monde des lettres qui se prépare à entrer – et avec quel éclat – dans l’avant-siècle.

On estime à environ deux cents volumes la production de Paul Féval. Certes, il n’a pas réussi le pari de sa jeunesse et il n’a pas été le Walter Scott breton, vite happé qu’il fut par les besognes du journalisme parisien et entraîné dans ce genre à la mode qu’était alors le roman-feuilleton historique.

Son fils, né le 25 janvier 1860, qui se prénomme également Paul, s’est engagé dans la Marine nationale lors de la déconfiture financière de la famille et découvre l’Indochine et Madagascar. Après la mort de ses parents, il entre comme reporter au Gil Blas. On le verra en Palestine et en Égypte.

Il a trente ans quand il décide de chausser les bottes et les éperons de son père : il publie, en 1893, Le Fils de Lagardère et continue dans cette veine en 1914, avec Le Fils de d’Artagnan !

Pourquoi s’arrêter en si facile chemin ? Ce sera bientôt D’Artagnan contre Cyrano de Bergerac.

Les héros sont immortels et leurs héritiers relèvent le gant. Ainsi, en 1931, La Petite-Fille du Bossu !

Paul Féval fils meurt le 17 mars 1933. Comme son père, il a consacré toute son œuvre à réconcilier ses compatriotes avec leur histoire, leurs traditions, leur province. Cela explique un succès et justifie un hommage.

Jean Mabire.