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Paul Vialar Mort d’un « vrai » romancier

Retour au sommaire du volume 4 des Que lire ?

Est-ce un titre de gloire par les temps qui courent ? Paul Vialar s’était présenté à cinq reprises, entre 1959 et 1982, à l’Académie française. Et, par cinq fois, l’illustre compagnie refusa de faire de lui un immortel. C’eût été couronner une œuvre abondante et variée, qui se voulait dans la plus stricte tradition classique de notre littérature. On estima donc, sans doute, qu’il eut été réactionnaire et fort peu moderne d’accueillir un auteur qui appartenait, par toutes ses fibres intellectuelles et morales, à une société dont on croit, en haut lieu, qu’elle est vouée à une inéluctable — et de surcroît salutaire — disparition.

Comment un écrivain osa-t-il écrire, à propos d’un métier qu’il considérait comme une forme très noble de l’artisanat : « Je suis un raconteur d’histoires, et j’en ai une à dire, peut-être la mienne, mais avant tout celle d’une vocation et d’une expérience… Tout récit, vrai ou imaginaire, doit l’être toujours non pas de façon bousculée mais bien ordonnée. C’est là une règle d’équilibre et de logique que je serais incapable de transgresser et du même coup cela devient, pour moi, comme une profession de foi. »

Tel fut l’homme qui est mort à quatre-vingt-dix-sept ans, assez injustement oublié, alors qu’il fut un auteur naguère populaire par sa clarté, son ambition, sa facilité à nouer des intrigues et à enchaîner des romans en des séries ambitieuses, comme La mort est un commencement ou La Chasse aux hommes qui reflètent les grandes réalités de notre siècle.

Dans son livre de souvenirs, auquel il donna le beau titre de Ligne de vie, on peut lire le bilan d’une existence tout entière consacrée, avec quelle honnêteté et quelle rigueur, au métier d’écrivain. Il y a chez lui quelque chose d’exemplaire, dans une démarche qui va le conduire à imaginer une sorte de chronique du XXe siècle, hommage indéniable à son maître Balzac, dont l’empreinte marque les cent livres — pas un de moins, pas un de plus — qu’il publia au cours d’une vie qui approcha de bien près les cent ans. Ce sportif fut un superbe coureur de fond, au souffle régulier et puissant.

Le seul reproche qu’on pourrait lui faire — mais il est de ceux qui ne se pardonnent pas dans la République des lettres — est d'être un seigneur, un aristocrate d’instinct et, en même temps, ce qui n’est aucunement contradictoire, un auteur populaire, capable de toucher un très vaste public par la magie de la lecture, ce qui implique autant d’effort que de joie.

Né le 18 septembre 1898 à Saint-Denis et mort à Vaucresson, il n’en sera pas moins une sorte de romancier provincial, amoureux de la nature, homme de bateau et de cheval, pour qui la forêt et la mer ne sont pas des décors, mais des réalités vivantes, possédant leurs lois. Souveraines.

Son père est un industriel venu de Gaillac dans le Tarn et ayant abandonné, en montant dans la région parisienne, une particule de noblesse, dont son fils sera le digne héritier spirituel. Après avoir engendré trois garçons et deux filles, il se remarie et sa seconde femme, à quarante-trois ans, lui donne ce fils unique, Paul.

Cette mère est d’origine polonaise et alsacienne. Le grand-père Conrad a commandé, comme colonel, la toute jeune Légion étrangère, tombant au combat en 1837 au service de la reine d’Espagne à qui l’avait « prêté » le roi des Français.

Quel héritage où se croisent « la beauté et l’honneur, un peu de la folie chevaleresque des Polonais, de la sagesse poétique des Alsaciens, tous s’étant montrés, comme mes deux grands-pères maternels, des “gentilshommes de Patrie” ainsi que je me plais à les nommer » !

Paul Vialar est orphelin de père à six ans et de mère à onze ans. Il sera alors élevé par l’industriel Gaston Poulenc, qui lui offrira son premier fusil. Il découvre la forêt de l’Aisne et la chasse à courre. Il en restera imprégné à jamais.

Une autre expérience va le marquer encore davantage : à dix-neuf ans, il s’engage dans l’infanterie et se porte volontaire pour se battre dans un petit groupe de casse-cou, le « Groupe-Franc de la forêt de Facq ». « À partir de ce jour, je vécus avec et pour la mort. » Spécialistes des coups de main dans les lignes ennemies, Vialar et ses camarades partent en chasse, avec « deux musettes, dix grenades dans chaque, prenez des offensives ça fait plus de boucan, pas de capote, un chandail sous la vareuse si vous voulez, le revolver à ceux qui en ont et qui savent s’en servir, les autres : le fusil… »

Après une série de patrouilles et d’embuscades, ce seront les tranchées de la Somme et de l’Aisne. Puis l’armistice, le départ pour l’armée d’Orient, la Turquie, la Roumanie, la Bulgarie.

Démobilisé, l’ancien des troupes de choc entre à l’École des hautes études commerciales, mais bifurque vite et commence à écrire des pièces de théâtre. Il devient un auteur à succès et fait les belles soirées de l’entre-deux-guerres.

En 1931, il publie son premier roman Fâtome (un nom courant dans le Cotentin). C’est l’histoire d’un pêcheur de La Hague qui va vivre une fantastique histoire d’amour. Vialar connaît le pays et ses gens, les « Côtais », pour y avoir passé une partie de sa jeunesse. Cela se sent dans ce premier livre, dont le réalisme le place d’emblée à la hauteur d’un Roger Vercel. Il récidive avec La Rose de la mer, où la présence d’un jeune enfant à bord d’un cargo modifie le comportement de tout un équipage de forbans.

Ce romancier de l’action va connaître un véritable triomphe en 1943 quand paraît, chez Denoël, La Grande Meute. L’écrivain est alors recherché par la police allemande pour son engagement dans la Résistance.

Le livre n’en est pas moins dans l’atmosphère de l’époque, où le thème du « retour à la terre » est très à la mode. Écrit d’une traite en vingt-huit jours, c’est la superbe histoire de la grandeur et de la décadence d’un hobereau qui va se ruiner pour entretenir une écurie de quatorze chevaux et surtout une meute de cent quarante-sept chiens de chasse, la plus belle de France.

Le livre, d’une rare précision technique, exige en annexe un « petit glossaire de vénerie », tant il est vrai que la rigueur du vocabulaire est caractéristique de cet auteur insolite : élégance, race et précision : « La seule chasse au cerf compte trois cents termes spéciaux. » Au-delà de cet aspect documentaire, ethnographique pourrait-on dire, il y a un portrait magnifique : celui d’un homme véritable et de son aventure « contée ainsi que doivent l’être des histoires qui ont un commencement, un milieu et une fin ». Enfin, un héros !

Cela donne un admirable roman qui sera vendu à des centaines de milliers d’exemplaires et traduit en une trentaine de langues. Le public aime les âmes fortes et le comte Côme de Lambrefault en possède une, singulière. « Comme son père, il serait un chef, en qui bêtes et gens ont confiance, qui vous mène, sur le droit, jusqu’à la mort. » Le droit, en terme de chasse, est « la voie juste, celle qu’il faut suivre ». Sa passion de veneur lui est un devoir autant qu’un plaisir :

« Dans la vie, il faut marcher devant soi, avec une idée fixe, aller tout droit, comme les bons courants sur la voie, sans quitter les erres, sans se soucier de ce qui n’est pas le but à atteindre. »

Ce succès, en pleine guerre, incitera Paul Vialar à se lancer dans des œuvres plus ambitieuses : les huit volumes de La Mort est un commencement, les dix de La Chasse aux hommes, les dix également de la Chronique française du XXe siècle, où il se passionnera pour nombre de métiers, ou bien encore Cinq Hommes de ce monde, qui est une vision originale de la Seconde Guerre mondiale, dont il croyait, plus encore que la première, qu’elle marquerait le suicide de l’Europe traditionnelle et enracinée.

Jean Mabire.