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Pierre Benoit Parfait technicien du romanesque

Retour au sommaire du volume premier des Que lire ?

On peut être centenaire et même un peu davantage et pourtant bien se porter. C’est le cas de Pierre Benoit, dont les romans continuent à trouver des lecteurs. Il faut reconnaître qu’il s’agit de mécaniques particulièrement bien agencées et lubrifiées. Une intrigue habile, un paysage exotique, une héroïne dont le prénom commence obligatoirement par la lettre A et un total à chaque ouvrage de 227 pages, pas une de plus, pas une de moins, ce sont là les recettes minutieusement mises au point au cours d’une carrière programmée comme aujourd’hui le lancement d’un satellite interplanétaire. L’effet est garanti. Il est difficile de ne pas se laisser prendre au jeu d’un auteur dont l’habileté a certes quelque chose de « diabolique », même s’il fut un des plus sages de nos écrivains.

Il est de mode, de nos jours, de mépriser quelque peu Pierre Benoit, auteur favori entre les deux guerres d’un public bourgeois qui aimait le dépaysement et les méandres d’un récit le tenant en haleine jusqu’à la dernière ligne. C’est nier une des fonctions bénéfiques de la chose imprimée qui est de faire vagabonder notre imagination sur les traces de personnages sortant de l’ordinaire. Les férus de la littérature confidentielle et prétentieuse reprochent à cet auteur prolifique d’avoir écrit des « romans de gare ». Ce sont là souvent propos de médiocres, les mêmes qui se moquent d’un Guy des Cars par exemple, ce qui ne les empêche pas d’emporter dans l’avion le dernier SAS de Gérard de Villiers (si seulement c’était le dernier).

Originaire des Landes, Pierre Benoit n’en naquit pas moins à Albi, dans le Tarn, le 16 juillet 1886, fils d’un officier supérieur qui marquera assez son rejeton pour que celui-ci fasse très souvent figurer dans ses futurs romans quelque altière silhouette de militaire. Les nécessités de la vie de garnison conduisent l’enfant à des études errantes : Alger, Montpellier et Paris, où il arrive à vingt et un ans.

Il devient secrétaire d’un personnage assez oublié, Léon Bérard, le classicisme fait homme, sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, dont le séant devait chauffer le fauteuil de Jack Lang et de Jacques Toubon. De tels détails en disent long sur l’évolution de la culture.

Pierre Benoit, décidément très bien installé dans le sérail républicain, devient conservateur de la bibliothèque du ministère de l’Instruction publique. S’il est des patrons de bistrots qui boivent leur fonds, il est des bibliothécaires qui lisent le leur. D’où une prodigieuse érudition, solide, variée, universelle dans le bon sens du terme. Avant même d’aborder l’écriture, Pierre Benoit est un « honnête homme » dans l’esprit que le Grand Siècle donnait à ce terme.

Comme tout le monde à cette époque, il débute dans les lettres par un recueil de poèmes. Il le dédie à Maurice Barrés, ce qui montre bien à quelle famille politique il souhaite appartenir.

Ce n’est qu’en 1918 qu’il publie son premier roman : Kœnigsmark. Sortant de la Grande Guerre, la France aspire au rêve, à l’oubli, au dépaysement. Le livre vient remarquablement à son heure. Le succès est foudroyant. Le public se passionne pour cette histoire qui se déroule dans une Allemagne fantasmagorique, lourde de mystère et de légende. Péripéties et rebondissements abondent. Comme il le fera souvent, Pierre Benoit met aux prises un héros idéaliste, presque naïf, et une femme fascinante, dangereuse et secrète. Celle-ci se nomme Aurore.

Elle préfigure par plus d’un trait de caractère Antinéa, l’héroïne de L’Atlantide, qui va paraître en 1919. Même ceux qui ne se souviennent plus du nom de Pierre Benoit savent qu’il existe un roman d’aventure extraordinaire, où le Sahara rejoint l’Hyperborée. Les déboires de deux officiers méharistes perdus dans le Hoggar et captifs d’une belle princesse, héritière des fabuleux Atlantes, sont finalement assez rocambolesques et se situent dans la ligne du vieux roman-feuilleton du siècle précédent. Mais tout cela est mené sur un rythme haletant, avec une ingéniosité qui ne peut que provoquer l’admiration et même la nostalgie de ce que peut être « le vrai roman », celui qui nous raconte une histoire.

Désormais, Pierre Benoit est lancé. Il va produire une quarantaine d’ouvrages de la même veine, au rythme d’un par année.

Tous ces livres ont la réjouissante habileté de s’insérer dans des cadres géographiques et historiques très précis, permettant aux lecteurs de voyager à bon marché dans tous les pays et de se trouver sans risque au cœur des événements les plus dramatiques.

Le Livre de Poche a bien compris l’intérêt du filon Benoit et a ainsi publié naguère les trois quarts de ses romans. Les titres épuisés sont toujours recherchés chez les bouquinistes. Citons au hasard : La Châtelaine du Liban, Pour Don Carlos, La Chaussée des géants, Le Soleil de minuit, Les Environs d’Aden, Le Désert de Gobi, Le Lac salé, La Sainte Vehme

Le plus extraordinaire est que ce maître de la couleur locale a écrit un jour que le succès de ses romans lui permettait d’aller enfin visiter les pays qu’il avait décrits !

Pierre Benoit, qui avait le sens du tragique, n’était pas dépourvu de celui de l’humour. D’ailleurs, les deux vont souvent l’un avec l’autre.

Inscrit par quelques-uns de ses chers confrères sur les listes noires des comités d’épuration, au lendemain de la guerre, pour avoir collaboré au Petit Parisien sous l’Occupation, il eut à supporter l’ostracisme et passa six mois en prison. Il se consola en se disant que lui, au moins, écrivait en français et raisonnait en Français.

Il est mort à Ciboure, dans les Pyrénées-Atlantiques, le 3 mars 1962, certain que le public continuerait à lui donner raison de la plus simple et de la plus nette manière qui soit : en continuant à le lire.

Jean Mabire.