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Pierre Mac Orlan Écossais par le rêve

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Parce qu’il a choisi un pseudonyme d’allure écossaise, qu’il aimait les chaussettes à carreaux, les pantalons de golf et portait un grand béret de laine tricoté garni d’un pompon multicolore, on crédite volontiers Pierre Mac Orlan de quelque ancêtre gaélique. En fait, il se nomme Pierre Dumarchey et il était d’origine picarde. Parce qu’il a chanté l’aventure, on le croit tout autant pirate, mauvais garçon, légionnaire ou bat’ d’Af. En réalité, il voyagea un peu comme journaliste et beaucoup en imagination, usant plusieurs paires de chaussons dans sa très longue retraite de Saint-Cyr-sur-Morin. Enfin, on le classe souvent comme un auteur secondaire, cantonné à la littérature populaire et cinématographique. Là encore, on se trompe : il s’agit tout simplement d’un grand écrivain.

Né le 26 février 1883 et mort le 27 juin 1970, Pierre Mac Orlan, qui a connu un assez beau succès entre les deux guerres, conserve des lecteurs. On peut même dire que son œuvre est plus présente que le personnage lui-même, car elle a donné naissance à des films célèbres, qui n’ont d’ailleurs parfois que de lointains rapports avec le roman dont ils sont tirés. Ainsi La Bandera ou Le Quai des brumes, tous deux avec Jean Gabin l’inoubliable, qui trouvait que Michèle Morgan avait de jolis yeux, tandis que ce pauvre Le Vigan s’efforçait de peindre ce qui se trouve de l’autre côté des choses. Nostalgie de ce Havre dont — comme le Brest de Prévert — il ne reste rien. Quelle connerie la guerre !

Et cette « connerie », comme disaient les poilus, Mac Orlan l’a connue plus qu’un autre, qui fut biffin en Lorraine, en Artois, à Verdun, dans la Somme et en ramena une capote bleu horizon en loques, des godillots boueux et une inépuisable tendresse pour ses copains disparus.

Né à Péronne, fils d’un officier de carrière dont on ne sait pas grand-chose, rapidement orphelin de mère, émigré à Orléans puis à Rouen la Normande, dont il gardera toute sa vie des images inoubliables, il est d’abord sportif comme on l’était à la Belle Époque : le rugby, le cyclisme, la boxe sans doute.

Avant même le début du siècle vingtième, il s’installe à Paris où il crève de faim. Mais pas de soif, car il prend ses quartiers chez Frédé, à Montmartre, sous l’enseigne du Lapin agile. Il deviendra le gendre de cet original patron de bistrot qui était la Butte faite homme.

Il choisit alors ce pseudonyme de Mac Orlan, par référence, prétend-il, à une grand-mère écossaise. Et il publie, à trente ans, ses deux premiers romans : La Maison du retour écœurant et Le Rire jaune. Il a d’emblée trouvé son style, celui qu’il nommera « le fantastique social ».

Dans un univers de brume et de mystère, ses personnages se meuvent comme des fantômes. Leurs aventures, souvent insipides, ne valent que par l’humour de l’auteur. Tout cela n’est pas très français et sent bon son Calédonien. Comme si les Hébrides ou les Orcades surgissaient du brouillard, îles septentrionales échouées au milieu de la Seine.

L’écrivain est trop habitué à la misère pour souffrir vraiment de la guerre. On y est vêtu, nourri, logé, au prix de quelques inconvénients, balles et éclats de ferraille qu’il accueille avec une âme fataliste.

Le drame terminé, il s’installe dans une maison paysanne de la Brie, sur les bords du Morin, et n’en bougera plus, culottant ses pipes, caressant ses chats et alignant, comme un bon artisan, une cinquantaine de romans, de récits de voyages ou d’essais comme ce célèbre Petit Manuel du parfait aventurier, qui date de 1920. Quand il en a assez d’écrire, il décroche un accordéon et chante pour les copains, en suivant le rythme de son piano à bretelles.

Ses meilleurs livres méritent de rester, tant on y sent la présence vivante du dangereux et de l’étrange. On a évoqué à son propos Kipling. Ce n’est pas stupide (alors qu’entre un Anglais et un Écossais, même de fantaisie…). Il est vrai que Mac Orlan aime les histoires de soldats : Picardie ou ses nouvelles La Croix, l’Ancre et la Grenade ou encore ses Propos d’infanterie ; le plus célèbre de ses romans, La Bandera, évoque le Tercio, la Légion étrangère espagnole.

Le film qui en sera tiré par Jean Duvivier débute par un hommage « au colonel Franco et aux soldats qui ont donné leur temps dans les montagnes arides d’Haff al Huest. »

Mac Orlan évoque aussi la révolution bolchevique dans La Cavalière Elsa, le temps des flibustiers dans Le Chant de l’équipage dont on retrouvera l’atmosphère dans L’Ancre de miséricorde, son meilleur livre.

Il s’intéresse à la sorcellerie, à la prostitution, au vagabondage. Mais il reste un tendre, déchiré par toutes les misères humaines qu’il a connues mieux qu’un autre.

Journaliste, dont les reportages font voyager sans danger le lecteur curieux et un peu voyeur, il continue d’écrire sous l’Occupation, mais se cantonne prudemment à la littérature — aventurier mais pas téméraire.

Il défend notamment dans le quotidien de Jean Luchaire Les Nouveaux Temps, un livre de Saint-Exupéry, Pilote de guerre, attaqué par les ultras de Je suis partout… Pas plus collabo que résistant, il donne des textes à Comœdia, organe des lettres et des spectacles, mais aussi à Combats, l’hebdomadaire de la Milice. L’Académie Goncourt l’accueille : l’épuration l’ignore.

Il appartient définitivement à une autre génération et s’enferme dans sa solitude campagnarde, un peu bougonne et pluvieuse. Il meurt à quatre-vingt-sept ans.

L’aventure — celle des autres — l’a bien conservé jusqu’au bout : lucide, drôle, seul sujet des Stuart qui ne soit jamais allé au nord des monts Cheviot et pour qui le tweed n’est que le nom d’un tissu pure laine, dans lequel il aimait faire tailler ses tenues de voyage imaginaire.

Jean Mabire.