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Pierre Véry Le mystère et le merveilleux

Retour au sommaire du volume 4 des Que lire ?

Il est des écrivains sur lesquels le temps ne semble guère avoir de prise. Ainsi Pierre Véry, qui naquit avec le siècle et s’imposa comme l’auteur le plus capable d’exprimer le merveilleux et l’insolite, tout en gardant une nostalgie de l’enfance qui l’a certes empêché de vieillir. Quand on le saluait, entre les deux guerres, comme le rénovateur du roman policier, il protestait gentiment, préférant que l’on parle plutôt, au sujet de ses livres, de « romans de mystère ». Il est de fait que l’atmosphère y comptait bien davantage que l’énigme, si habile fût-elle.

Et puis il ne se cantonna pas dans un seul genre et fut un de nos meilleurs romanciers de la campagne et de la province. Rien de moins Parisien que ce Charentais qui rêva dans sa jeunesse de voyages lointains avant de devenir — entre autres — le conteur le plus sensible aux réalités de l’enracinement.

Sa grande chance fut aussi d’être servi par des cinéastes qui surent transfigurer quelques-uns de ses livres jusqu’à élever ses histoires criminelles au niveau de véritables mythes.

Deux de ces films sont des chefs-d’œuvre absolus. Ce sont aussi des témoignages quasi ethnographiques, d’une criante vérité, restituant à la perfection des univers aujourd’hui disparus. Il n’existe plus de collège comme celui des Disparus de Saint-Agil, ni de paysans comme ceux de l’étrange tribu dominée par Goupi Mains-Rouges. Ces personnages et ces décors appartiennent à notre patrimoine. Ils sont notre bien commun. Insaisissables.

Mystères de l’hérédité. Quelle chance d'avoir une mère quasi paysanne et un père professeur de mathématiques ! Ainsi, l’enfant, né le 17 novembre 1900 à Bellon, sur la commune de Chalais-en-Charente, va-t-il bénéficier du merveilleux des contes de fées que lui récite sa mère et de la rigueur scientifique de l’auteur de ses jours. On retrouvera cette double influence, apparemment contradictoire, dans tous ses livres : peu d’esprits mélangeront avec un tel bonheur la sensibilité et le raisonnement.

La carrière paternelle oblige à de nombreux déplacements, au gré des mutations. Ainsi, le jeune Pierre Véry va-t-il découvrir tour à tour Condé-sur-Noireau (Calvados) et Angoulême (Charente à nouveau).

En 1913, il entre à l’institution Sainte-Marie de Meaux (Seine-et-Marne). Les impressions qu’il en ressent sont si fortes qu’on les retrouvera dans deux de ses livres, Les Disparus de Saint-Agil et Les Anciens de Saint-Loup.

Dans l’atmosphère si particulière d’un internat de province, au moment même où la Belle Époque agonise, ce potache conserve l’inguérissable nostalgie d’une enfance campagnarde.

Seulement, ce gamin, d’abord élevé en plein vent, est atteint d’une maladie inguérissable — celle même que Valéry Larbaud appelait « vice impuni » — la lecture !

Il a dévoré Jules Verne et Mayne Reid, mais aussi Chateaubriand et Voltaire. Au-dessus de la pile des volumes reliés d’écarlate aux tranches dorées (ce sont les anciens livres de prix de son père lycéen) règne le bouquin essentiel : Don Quichotte.

Quand il arrive à Paris, adolescent, il rencontre celui qui sera son ami, à la vie à la mort.

Si Pierre Véry est mort en 1960, Pierre Béarn est toujours bien vivant et s’achemine tranquillement vers l’an 2002, où nous célébrerons son centenaire.

Les deux Pierre essayent tous les métiers, pratiquent tous les sports, du vélo au billard, et caressent tous les rêves, et pas seulement les rêves. Champions cyclistes amateurs, ils décident de tenter la grande aventure et de découvrir ensemble l’empire des Indes.

Ils n’iront pas plus loin que Marseille. Mais la mer s’impatiente. Béarn s’engage dans la marine de guerre. Véry navigue au commerce : il est cuisinier sur un cargo desservant l’Espagne et le Maroc.

En 1925, de retour à Paris, Véry ouvre, rue Monsieur-le-Prince, à l’orée du Luxembourg, une librairie-bouquinerie qui deviendra célèbre : La Galerie du Zodiaque.

Si l’on veut savoir ce que fut cette expérience singulière, il faut lire le délicieux petit livre qui se nomme Léonard ou les délices du bouquiniste.

À force de manier des livres, il finit par en écrire un. Gallimard publie, d’emblée, en 1929, le roman de cet inconnu. Ce sera Pont égaré, magnifique transfiguration d’un paysage campagnard. Il ne trouvera guère de lecteurs. Sauf un, à peine plus connu alors que Pierre Véry et qui se nomme André Malraux.

Le bouquiniste s’obstine, croyant peut-être plus facile de vendre un manuscrit à un éditeur que des livres à quelques amateurs. Mais il a un peu honte de choisir un genre qui est en train de prendre son envol, le roman policier. Alors, il se trouve un pseudonyme : Toussaint-Juge. Le Testament de Basil Crookes, publié par les éditions du Masque en 1930, reçoit le grand prix du roman d’aventures. Pourtant, lui, il préfère Danse à l’ombre qu’édite encore Gallimard, décidément pas rebuté par ce romancier qui ne se vend pas. L’insuccès continue.

Pierre Véry doit se résoudre à devenir sous son nom auteur de romans policiers, terme qui lui déplaît tellement qu’il intitule les enquêtes de son héros, Prosper Lepicq, « romans de mystère ».

Mystère, certes. Mais aussi merveilleux, humour, fantaisie. Il y a un « ton Véry », une atmosphère qui n’appartient qu’à lui et qui l’installe à une place singulière.

Il serait plutôt individualiste, inclassable, heureux de jouer sa petite musique et un peu surpris qu’elle trouve à se faire entendre. Dans un monde romanesque où les écrivains anglo-saxons semblent indétrônables, il se fait sa place, grâce à son imagination, certes, mais grâce aussi à cette nostalgie de l’enfance, qui ne va désormais plus le quitter.

Si l’année 1934 a vu le triomphe de Meurtre quai des orfèvres, de L'Assassinat du Père Noël ou des Quatre Vipères, il va sans nul doute atteindre le sommet de son art, l’armée suivante, avec Les Disparus de Saint-Agil.

Certes le livre est bon, tout nourri de ses souvenirs de petit pensionnaire dans un pays froid et pluvieux. Mais ce qui va contribuer d’une manière fantastique au succès du livre, ce sera le film qu’en tirera Christian-Jaque en 1938.

L’adaptation et les dialogues sont signés Jacques Prévert. Quant à l’interprétation, elle est tout simplement éblouissante : Éric von Stroheim, Michel Simon, Robert Le Vigan, pour ne citer que trois têtes d’affiche.

Même s’il n’a pas collaboré à ce film, Pierre Véry n’en va pas moins désormais travailler aussi pour le cinéma, d’autant que le même Christian-Jaque et le même Robert Le Vigan ont réussi, en 1941, à faire de L’Assassinat du Père Noël un des grands succès du cinéma français sous l’Occupation.

Pierre Véry travaille à l’adaptation de son roman mystère L’Assassin a peur la nuit, qui sort en 1942, et surtout à la réalisation de Goupi Mains-Rouges que tourne Jacques Becker en 1943 et qui ne va pas tarder à devenir ce qu’on nomme d’une manière assez ridicule un « film-culte ».

Fernand Ledoux dans le rôle-titre et Robert Le Vigan, toujours lui, brûlant de toutes les nostalgies indochinoises, dans le personnage de Goupi-Tonkin y sont inoubliables.

Pierre Véry, qui mourra le 12 octobre 1960, ne retrouvera sans doute pas après la guerre la place qui était la sienne. Ni avec Le Pays sans étoiles, livre et film, où il fait une incursion dans le fantastique, ni avec Les Anciens de Saint-Loup, qui ne parviennent pas, livre et film là encore, à effacer le souvenir des Disparus de Saint-Agil.

On retrouve dans son roman La Route de Zanzibar cette hantise de l’exotisme qu’il partageait dans les années vingt avec son copain Pierre Béarn.

Il serait bon de réunir en volume, du style « Bouquins » ou « Omnibus », une partie de la quarantaine de titres qu’il a publiés.

Jean Mabire.