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Robert Brasillach Un destin fracassé

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Le 6 février 1945, Robert Brasillach était fusillé au fort de Montrouge. Sa grâce avait été refusée, malgré un appel pressant de plus de cinquante écrivains, artistes, musiciens, universitaires, dont la plupart n’étaient certes pas de ses amis politiques. Mais le sort de ce perpétuel adolescent, qui aurait eu trente-six ans à la fin du mois de mars, avait profondément troublé le monde intellectuel, auquel il appartenait de tout son passé de normalien et de tout son talent de critique. Peu de garçons de sa génération avaient reçu autant de dons littéraires et moins encore les avaient fait fructifier, selon l’impérative exigence de la parabole des talents. Témoin privilégié de ce qui a été « l’avant-guerre », il en a épousé toutes les querelles, avec un enthousiasme qui devait le mener au poteau, par un petit matin blême d’hiver, quand agonisait la Deuxième Guerre mondiale et que l’épuration, cette « occupation française » comme disait Cocteau, succédait à l’occupation allemande. Après le journaliste Georges Suarez et le marin-historien Paul Chack, il fallait un poète pour payer le tribut de la vengeance.

Né le 31 mars 1909 à Perpignan, dans une famille frontalière toute bruissante d’atmosphère catalane, Robert et sa jeune sœur Suzanne sont les enfants d’un officier de carrière, le lieutenant Arthémile Brasillach, qui sera tué au combat lors de la révolte d’une tribu marocaine, dans les premiers mois de la guerre de 1914.

L’enfant est très marqué par cette mort héroïque. D’un naturel pacifique, qui le conduira à une conception politique pacifiste, il n’en est pas moins hanté par l’idée du devoir et du sacrifice. À une fierté toute hispanique, presque « don quichottesque », il joint un sens très français du courage et même du défi.

Épris de lettres classiques, familier de Virgile, de Corneille ou de Chénier, auxquels il consacrera des livres qui marquent les différentes étapes de sa vie : 1931, 1938 ou 1945, il ne se lance pas moins à l’assaut des moulins à vent, dans le sillage du vieil idéologue royaliste qui l’a recueilli, à vingt-trois ans, comme critique littéraire de L’Action française.

Il partage les phobies du quotidien où il publie chaque jeudi son feuilleton littéraire : il déteste d’un même mouvement la République et l’Allemagne, adoptant, tout naturellement la violence d’expression des deux Méridionaux qui donnent à l’AF son ton d’injures et de menaces : Léon Daudet et Charles Maurras.

Hanté par la grande figure de Charles Péguy, tué au combat sur la Marne, alors même que son père tombait au Maroc, il rêve, comme l’animateur des Cahiers de la Quinzaine et avec autant de lyrisme et aussi de naïveté, d’unir le nationalisme et le socialisme. Ce fut l’ambition du Cercle Proudhon juste avant la grande tuerie de 14, et Brasillach y restera toujours fidèle.

Pourtant, ce jeune homme surdoué restera assez longtemps en marge, publiant une demi-douzaine de romans, tous empreints de provincialisme parisien et de douceur de vivre : Le Voleur d’étincelles, L’enfant de la nuit, Le Marchand d’oiseaux, Comme le temps passe, Les Sept Couleurs ou plus tard, La Conquérante. S’y ajoutent une Histoire du cinéma et une Histoire de la guerre d’Espagne (ces deux livres en collaboration avec son beau-frère Maurice Bardèche) et quelques ouvrages de critique qui le placent au premier plan.

Les événements du 6 février 1934, où le sang de la Concorde, la mal nommée, préfigure le sang de Montrouge, le propulsent vers une action politique à laquelle la guerre d’Espagne va apporter toute sa dimension tragique.

La vieille querelle franco-française entre monarchistes et républicains se transfigure en une guerre civile européenne. Aux volontaires des Brigades internationales, il rêve d’opposer, dans tous les pays, les militants de ce qui est pour lui le « mal du siècle » et qu’il nomme fascisme.

L’exécution de José Antonio Primo de Rivera en Espagne ou l’assassinat de Corneliu Codreanu en Roumanie apportent la justification du martyre à la cause qu’il embrasse avec passion et qui est pour lui celle de la jeunesse et aussi de la joie.

Patriote et germanophobe jusqu’à l’obsession, méditerranéen de sang et de cœur, il va chanter les diverses couleurs de cette internationale du soleil et de la force, s’attachant, d’ailleurs, bien davantage qu’aux régimes déjà en place en Italie ou en Allemagne, aux jeunes chefs qui luttent pour le pouvoir : Degrelle en Belgique, Mussert en Hollande, Quisling en Norvège, Mosley en Angleterre, Oltramare en Suisse et tant d’autres, sur un vieux continent en rébellion contre la démocratie parlementaire.

En France, c’est sans doute l’ancien communiste Doriot qui le séduit. Mais pour Brasillach et ses camarades, Rebatet ou Cousteau, le fascisme français, c’est d’abord et avant tout, plus qu’un parti, un journal : l’hebdomadaire Je suis partout.

Par tempérament et par raison il refuse la guerre mais rejoindra, le moment venu, son poste comme lieutenant d’infanterie. Prisonnier, il reste à jamais marqué par le souvenir de ses camarades de captivité.

Libéré, il assume au début de 1941 la rédaction en chef de JSP, avec lequel il va rompre en 1943, en refusant de cautionner une politique de collaboration jusqu’au boutiste. Cela ne l’empêche pas d’écrire dans Révolution nationale et d’y affirmer un amour tardif pour les Allemands, dont il croit pourtant la défaite inéluctable. Refusant de quitter les jeunes gens qu’il a pu entraîner sur des chemins dangereux, il se constitue prisonnier.

À son procès, il ne reniera rien de ses idées. On les trouve pour l’essentiel dans Notre avant-guerre, ses mémoires, qu’il écrivit « en l’an trentième de son âge ».

Peu de vies auront brûlé aussi vite que celle que va briser la salve de douze fusils.

Jean Mabire.