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Théophile Briant Chevalier-poète

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S’il est un centenaire qui risque d’être occulté par la « grande presse parisienne », c’est bien celui de Théophile Briant, né le 2 août 1891 à Douai de parents bretons. Fondateurs d’un des plus insolites organes littéraires, Le Goéland, il est pourtant un des poètes marquants de son temps, animateur infatigable, mainteneur de l’esprit lyrique face au matérialisme d’un monde en folie. D’avoir refusé de vivre dans la capitale hexagonale et d’avoir prétendu que la littérature pouvait et devait s’épanouir hors de Paris a fait de lui, en quelque sorte, un écrivain maudit. Chantre de la terre, du ciel et de la mer, profondément attaché à tous les mythes celtiques, poète « solaire » par excellence, il demeure, malgré le silence et l’oubli, un incontestable créateur d’images et de signes.

On peut naître dans la ville la plus méridionale des Flandres et n’en être pas moins authentique Breton de père et de mère. Nul n’échappe à son peuple. Ce sentiment d’appartenance, le jeune Théophile Briant le ressent encore davantage lors de son enfance à Fougères : les villes des marches, avec leurs antiques forteresses frontalières, sont souvent plus fières que d’autres du passé ducal. Théophile se retrouve ensuite en exil pendant sept ans chez les Jésuites du Mans. Il y gagne une solide culture classique et une non moins solide défiance de l’hypocrisie.

En 1907, « plus jeune bachelier de France », il se met en route, en dépit de longs détours pour une infatigable quête du Graal, voyage mystique et païen, qui après la mort de son père le conduit à Paris, comme employé de banque et étudiant en droit.

Mobilisé dans l’artillerie, il restera, pendant toute la guerre de 14-18, au grade modeste mais exigeant de maréchal des logis. C’est en plein conflit qu’il rencontre, en 1916, l’année de Verdun, Léon Bloy et qu’il découvre Villiers de l’Isle-Adam : bons parrainages littéraires.

La paix revenue, il se lance avec une sorte de frénésie dans la vie parisienne et l’avant-garde de l’époque. Ses amis se nomment Max Jacob, Picasso, Jean Cocteau. La littérature ne lui suffit pas. Il se passionne pour la peinture et la musique. Pour la natation aussi. Car ce garçon d’une trentaine d’années est un colosse, sportif comme peu l’étaient en ces années folles.

Il ouvre une galerie de peinture, fonde une société de concerts, publie enfin un premier recueil de poèmes, alors qu’il rencontre les pires difficultés matérielles à vendre les tableaux des autres.

Ruiné, déçu jusqu’à l’écœurement par l’agitation parisienne, incapable de supporter plus longtemps de vivre loin du sol breton, il s’installe dans une étrange demeure de Paramé, sur la route de Cancale, à la sortie de Saint-Malo, dans un vieux moulin auquel est accolé un modeste corps de bâtiment.

C’est la Tour du Vent, dont il va faire un haut-lieu de poésie, entre embruns et nuages. Parfois aussi, il vagabonde solitaire dans les champs de choux, enveloppé dans une vieille cape sombre et la tête pleine de visions.

Le 22 juin 1936, c’est le grand jour. Avec son ami René Martineau, il fonde une revue de poésie et de critique : le journal littéraire de la côte d’Émeraude, auquel il donne un nom évocateur : Le Goéland : « J’ai mon corbeau moi aussi, mais il est blanc, c’est un goéland qui aboie sur la fenêtre de ma Tour. »

L’aventure va durer vingt ans sous le signe de « l’oiseau du large et de la solitude ». Théophile Briant, frappé à mort par la disparition de son fils unique en 1937 et par celle de sa femme, dix ans plus tard, va réussir un mensuel tour de force : rendre hommage aux grands poètes de son temps et faire connaître les plus jeunes.

Deux de ses meilleurs livres sont des essais consacrés à des confrères en poésie : Jehan Rictus, le vagabond des faubourgs de Paris et Saint-Pol Roux, l’ermite de Camaret, sur la mer d’Iroise.

Briant n’est pas seulement poète, il est aussi romancier. En témoignent Les Amazones de la chouannerie, pour lesquelles son ami, le peintre et militant breton Xavier de Langlais composera de superbes bois gravés d’une singulière puissance. C’est encore à lui qu’il demandera plus tard d’illustrer un introuvable album consacré à Saint-Malo dévasté, car il ne reste rien de la ville, après les bombardements américains et la tempête de feu qui a ravagé la cité corsaire en 1944.

Ami de Max Jacob, juif de Quimper, mort au camp de Drancy, il est aussi l’ami de Louis-Ferdinand Céline, dont il a publié pendant la guerre, dans Le Goéland, une bien curieuse lettre concernant La Légende de la mort, d’Anatole Le Braz. Il ira déposer à son procès et le défendra devant le tribunal, au moment même où paraît le centième numéro de sa revue.

Décernant avec majesté quelques prix littéraires et consacrant la poétesse aveugle Angèle Vannier, il vit et règne à la Tour du Vent, en compagnie de sa seconde femme, épousée en l’abbaye de Boquen. En Bretagne. Fées, moines et druides se sont souvent croisés. Les pas des saints locaux, pas toujours très catholiques, sont encore marqués dans la boue des chemins creux.

Poète et romancier, Briant est aussi un historien qui se passionne pour Chateaubriand et Surcouf, ses compatriotes malouins.

Son modèle et son frère, c’est avant tout autre Merlin, l’enchanteur de ses vieux jours. Brocéliande devient pour lui le haut-lieu par excellence. Célébrant le soleil, le retour des saisons, les forces telluriques et les fêtes populaires, Théophile Briant accomplit l’indispensable retour à cette forêt de Brocéliande, celtique antithèse à la religion du désert : il écrira Le Testament de Merlin qui est aussi le sien.

Dans la nuit de la Saint-Jean, le 23 juin 1956, la Tour du Vent célèbre les vingt ans du Goéland, sous le signe du solstice d’été et de la lumière triomphante. Quelques jours plus tard, le poète-prophète est mortellement blessé au volant de sa voiture. Il succombe le 5 août, sur la terre où sa volonté avait voulu enraciner sa poésie, pour qu’elle puisse croître vers l’infini du vent de la mer.

Jean Mabire.